Yahia Zoubir est professeur en relations internationales et management international à Euromed Marseille Ecole de management (France). L'auteur de nombreux travaux sur le conflit du Sahara occidental pense qu'avec un peu de réalisme et de volonté politique, les Maghrébins pourraient résoudre le vieux conflit de l'ex-colonie espagnole. Liberté : Beaucoup d'encre a coulé depuis la dernière réunion du Conseil de sécurité de l'ONU sur le Sahara occidental. Où se situe le blocage ? Yahia Zoubir : Il incombe au Conseil de sécurité de faire appliquer les résolutions onusiennes. Or, le problème dans la question sahraouie est qu'il s'agit d'un jeu géopolitique complexe. Deux des membres de ce Conseil, la France et les Etats-Unis, sont pleinement responsables du blocage actuel. Depuis le début du conflit dans les années 1970, ces deux pays ont saisi cette question d'un point de vue de realpolitik, plutôt que du côté du droit international et du droit à l'autodétermination du peuple sahraoui. Depuis le 11 septembre 2001 et en raison des importants changements en Algérie, les choses se sont compliquées pour les USA, la France et même pour le Maroc. Pour les Etats-Unis, le Maroc reste un allié de taille, mais un allié affaibli intérieurement qui souffre gravement sur les plans économique et social. Les USA sont conscients, à la fois, de cette réalité et de l'importance de l'Algérie, dont les richesses énergétiques en font un acteur de poids. Aujourd'hui, Washington veut résoudre le conflit, perçu comme un facteur d'instabilité dans la région et un obstacle majeur à son marché intégré maghrébin. Etant donné les relations privilégiées avec le Maroc, ils chercheront une solution acceptable à ce dernier. La France, de son côté, est consciente qu'un traité d'amitié avec l'Algérie ne peut se faire au détriment des intérêts de celle-ci. Le président Bouteflika a eu le mérite de dire tout haut ce que tout l'establishment algérien pensait tout bas : la question sahraouie est une question de sécurité nationale pour les Algériens, en plus d'être une question de principe et tout le reste. Comme les Etats-Unis, Paris cherchera la solution de compromis, et si elle sent que ses intérêts seraient sérieusement menacés en Algérie, elle incitera probablement le Maroc à faire preuve de plus de flexibilité et tentera de projeter une image d'impartialité dans ce conflit. De nouveaux éléments dans votre analyse par rapport au regard américain ? Les USA, en plus de ce que j'ai dit, sont très préoccupés par les développements dans la région du Sahel, les questions de développement dans le cadre du Grand Moyen-Orient… Des membres très influents du Congrès sont solidaires de la cause sahraouie, et inquiets par l'incapacité de leur pays à faire appliquer le plan Baker II. Même au sein de l'Administration, on sent, depuis quelques mois, une volonté très forte de mettre fin au conflit. En 1992, l'ambassadeur américain à l'ONU, John Bolton, n'avait pas hésité à dénoncer le Maroc pour son attitude obstructionniste. Aujourd'hui, il essaiera probablement de convaincre ses supérieurs de faire pression sur le Maroc, pour des propositions tangibles et des négociations sérieuses avec les Sahraouis. Les Américains n'imposeront pas une solution qui ne soit pas acceptable à l'Algérie et aux Sahraouis. Les USA montrent maintenant un intérêt très fort pour l'Algérie que je n'avais pas perçu auparavant. Le fait que les Etats-Unis aient explicitement déclaré que l'accord de libre-échange avec le Maroc n'incluait pas le Sahara occidental est révélateur de cette volonté d'équilibre dans le conflit et dans leurs relations avec l'Algérie et le Maroc. Et que pensez-vous du regard européen ? Franchement, à part les aspects humanitaires, l'Europe joue un rôle mineur et, parfois, très négatif, tel que le récent accord avec le Maroc sur la pêche. L'UE exerce peu de pression sur la France et l'Espagne sur cette question. En Europe, c'est la société civile qui joue un certain rôle. Quel type de scénario entrevoyez-vous d'ici la fin de l'année ? À moins que les intérêts américains et français ne soient réellement menacés, le statu quo sera de mise malheureusement, aux dépens des Sahraouis. Mais, tant que l'Algérie et des pays comme l'Afrique du Sud maintiennent leur position, rien ne sera fait pour reconnaître la souveraineté marocaine au Sahara occidental. Ce qui reste tout de même troublant dans l'affaire sahraouie, c'est que les Etats-Unis et la France, membres influents au Conseil de sécurité, ont tout fait pour contourner des résolutions qu'ils ont eux-mêmes approuvées. Mais, en politique, rien n'est impossible. Avec un peu de réalisme, de volonté politique et de respect au droit des Sahraouis, pourquoi les Maghrébins ne seraient-ils pas capables de résoudre eux-mêmes ce conflit au lieu d'attendre que des forces externes le fassent pour eux ? Un avis sur la nouvelle dynamique dans les territoires occupés sahraouis ? Il s'agit d'un vrai mouvement pacifique qui lutte pour son droit légitime à l'autodétermination. Il s'agit de Sahraouis nés dans les territoires occupés qui se sont soulevés, ceux-là mêmes que le Maroc a voulu coopter. C'est un mouvement spontané qui ne parle pas d'autonomie mais d'indépendance. Malgré la répression féroce des autorités marocaines, il n'a pas baissé les bras. Plus remarquable encore, il s'étend au Maroc et a une influence certaine sur la société civile marocaine qui risque de le prendre comme exemple dans ses propres luttes pour la démocratisation au Maroc. L'autre mérite du mouvement sahraoui est qu'il a eu des échos à travers le monde : même l'ONU va enquêter sur les violations des droits humains au Sahara occidental. Le Maroc a beau essayer d'assimiler les Sahraouis à des terroristes à la solde d'Al Qaïda et d'autres balivernes, il n'a fait que renforcer l'image d'un peuple digne qui ne s'est ni résigné ni soumis à l'occupant. Propos recueillis par H. A.