Ce professeur en relations internationales et en management à l'Ecole de management de Marseille (Euromed) en France s'exprime sur l'union méditerranéenne. Liberté : Le président Sarkozy effectuera demain (10 juillet, ndlr) une visite en Algérie. En quoi pourrait-il bien surprendre les Algériens ? Yahia Zoubir : Je ne sais pas vraiment, puisque M. Sarkozy a clairement indiqué qu'il n'est pas question pour la France de présenter ses excuses pour son passé colonial en Algérie, le point qui a d'ailleurs fait échouer le traité d'amitié tant souhaité par MM. Chirac et Bouteflika. Je suppose qu'il présentera une proposition concrète concernant son projet d'union méditerranéenne, ce qui n'a pas été fait jusqu'à présent. Mais, une union méditerranéenne sur le modèle de l'Union européenne, c'est une chimère. Il n'y a qu'à voir le refus d'admettre la Turquie, malgré tous les efforts que cette dernière a fournis pour pouvoir adhérer à l'UE. En réalité, la France se rend compte que les défis en Méditerranée occidentale sont de nature stratégique. De plus, la Méditerranée orientale lui échappe, du moins en ce qui concerne le conflit israélo-palestinien, domaine réservé des Etats-Unis. Le partenariat euro-méditerranéen ou processus de Barcelone a montré ses limites. D'ailleurs, on n'en parle presque plus. Par le biais de cette union méditerranéenne, la France souhaiterait peut-être recouvrer son influence dans la région, en entamant une politique plus dynamique. En tout cas, il faut attendre de voir le contenu de cette proposition pour pouvoir s'exprimer. La France de Sarkozy changera-t-elle de position vis-à-vis de la question sahraouie ? Il semblerait que le nouveau président veuille travailler avec les Algériens. Je pense qu'avec l'arrivée de M. Sarkozy, cette position va aller vers un certain équilibre ou plutôt un équilibre de façade. Dans l'actuel gouvernement, Bernard Kouchner est ministre des Affaires étrangères. Dans le passé, M. Kouchner a déclaré que le conflit du Sahara occidental est une invention de l'Algérie. Mais, on peut tout de même affirmer que si la totalité de la classe politique française est liée au Maroc et le défend sans vergogne, M. Sarkozy semble plus pragmatique. Il a le sens du business et peut donc défendre les intérêts de la France dans la région de façon plus efficace. Nous verrons comment il essaiera de gérer la question du Sahara occidental pour faire avancer son idée d'union méditerranéenne. Le Maroc et le Front Polisario ont entamé de nouveau des négociations. Quel regard portez-vous sur ces discussions ? Les 18 et 19 juin dernier, le Maroc a participé aux négociations de Manhasset pour ne pas être mis sur la sellette et parce qu'il garde toujours cet espoir de faire infléchir la position des Sahraouis et celle de l'Algérie par contrecoups. Lors de ces négociations, les Marocains ont fait de telle sorte que les Sahraouis se retirent de la table des discussions… Ils ont ajouté dans leur délégation des membres du Corcas pour signifier que les Sahraouis sont des sujets marocains et remettre en cause la représentativité du Front Polisario. Mais les Sahraouis ne sont pas tombés dans le piège qui leur a été tendu. C'est pour vous dire que le Maroc continue sur la voie du passé, pour maintenir le statu quo qui l'arrange. Il donne de faux espoirs aux Sahraouis et manipule l'opinion publique internationale. Il y a une sorte de tromperie ici, puisque le Maroc recourt à toute tactique pour ne pas respecter la légalité internationale. Seulement, il ne faut pas oublier l'exemple de l'Erythrée… Dans les années 1950, l'Erythrée, ancienne colonie italienne, a obtenu une autonomie sous souveraineté éthiopienne avec la garantie de l'ONU. Elle a ensuite été annexée en 1962 par l'Ethiopie. Il n'y a eu aucune résistance au niveau de l'ONU, car pour des raisons de géopolitique, les Etats-Unis avaient soutenu l'Ethiopie. Les Erythréens, qui avaient souhaité l'indépendance, se sont alors vus intégrés dans une sorte de fédération qui leur a été imposée, sans qu'un référendum soit organisé. Il a fallu une guerre farouche de plusieurs années et de nombreuses victimes avant que l'Erythrée ne recouvre, en mai 1993, son indépendance à la suite des résultats du référendum qui s'est tenu un mois auparavant. H. A.