Le ministère des Affaires étrangères vient, une nouvelle fois, de rappeler à l'ensemble des représentations diplomatiques étrangères les dispositions réglementaires régissant le déplacement des diplomates à l'intérieur du pays. C'est la quatrième fois que le département de Bedjaoui est contraint de prendre une telle initiative en moins d'une année. On évoque, ainsi, le cas d'un diplomate danois qui s'est rendu sans aviser les AE dans une ville du Sud. C'est la quatrième fois que le département de Bedjaoui est contraint de prendre une telle initiative en moins d'une année. Dans les milieux consulaires, on évoque le cas d'un diplomate danois qui s'est rendu sans aviser les AE dans une ville du Sud, Ghardaïa d'après nos sources, pour justifier ce nouveau rappel à l'ordre. D'autant que le voyage du diplomate a coïncidé à quelques jours près avec l'attentat ayant coûté la vie à treize douaniers dans la région en avril dernier. Il a eu lieu, selon les mêmes sources, il y a un peu plus d'un mois. À Alger, on estime que le diplomate n'a pas avisé les AE parce qu'il voulait “découvrir des gens normaux, sans la présence des services de sécurité“. Il semblerait que le diplomate danois ne soit pas le seul à transgresser les règles en vigueur. Certains diplomates “européens“ ont, eux aussi pour des “raisons parfois personnelles, parfois professionnelles“ évité d'avertir les AE. Ce que stipulent les circulaires Aussitôt cet incident parvenu au ministère, la sous-direction des immunités et privilèges diplomatiques, dépendant de la direction générale du protocole, a adressé deux circulaires, dont Liberté possède une copie, à l'ensemble des représentations diplomatiques accréditées à Alger leur rappelant la législation en vigueur et les enjoignant de respecter la loi. Datant du 2 avril 2006, la circulaire n°656 indique, qu'en référence aux circulaires n°566 en date du 22 mai 2005 et n°1367 du 18 novembre 2005 et en application au décret 259/64 du 27/08/1964 relatif aux dispositions spécifiques aux représentants diplomatiques et consulaires accrédités en Algérie, et “particulièrement“ l'article 12, “tout déplacement hors des frontières de la wilaya d'Alger est soumis à une autorisation préalable“. Le ministère, qui a enregistré “ces derniers temps des déplacements sans autorisation de nombreux diplomates, dont des responsables de délégations diplomatiques” les somme une nouvelle fois de s'astreindre à “l'obligation du strict respect de ces mesures visant à faciliter la mission des diplomates et à garantir la sécurité nécessaire lors de leurs déplacements“. Les AE précisent également qu'aucune autorisation ne sera délivrée pour les déplacements “par route“ en direction du Grand-Sud. Et ce, jusqu'à nouvel ordre. Par ailleurs, le ministère indique que pour les diplomates désireux de se déplacer dans “les limites des wilayas de Boumerdès, Tipasa et Blida”, il leur suffit juste de les aviser au préalable sur “le parcours choisi“. Quant à la circulaire n°942, en date du 3 mai 2006, elle comprend un exemplaire du formulaire qui doit être préalablement, et “dans les délais réglementaires“, transmis aux AE avant chaque déplacement. Pas de restriction de mouvement, selon Alger Il ne s'agit pas pour autant, au niveau du MAE mais aussi pour bon nombre de diplomates accrédités à Alger, d'une restriction de la liberté de mouvement du corps diplomatique. À Alger, on justifie ce rappel par une situation qui devient de plus en plus anarchique. “Il ne s'agit pas d'une interdiction. Personne ne peut interdire à un diplomate, encore moins à un ambassadeur de se déplacer. Il suffit juste de respecter les règles”, précise-t-on. Nos sources rappellent qu'il est dans “la pratique protocolaire et les usages diplomatiques“ d'aviser avant chaque déplacement pour “des raisons liées à l'efficacité de la mission, mais également pour la sécurité du déplacement”. D'autant qu'une telle obligation est inscrite dans les usages diplomatiques, à la fois pour avertir le ministre des Affaires étrangères de l'indisponibilité d'un diplomate si besoin est, mais également pour garantir une prise en charge efficace du diplomate en question par les autorités locales. “Les Affaires étrangères doivent briefer les diplomates avant une visite dans une région donnée. De plus, si elles ne donnent pas leur accord préalable et n'avertissent pas les autorités locales, via les départements ministériels concernés, personne ne peut rien faire ni intervenir même si c'est un ambassadeur qui se déplace“, précise une source proche des AE. Il y a également en filigrane la donne sécuritaire. La situation, si elle s'est améliorée ces dernières années, reste préoccupante. Et les AE ne veulent surtout pas revivre un événement tel que celui de l'enlèvement de trois ambassadeurs arabes en 1994 près du barrage d'El-Hamiz à Alger. L'interdiction de rejoindre le Grand-Sud par route trouve, selon nos sources, sa justification dans cette donne. “Il y a des ambassadeurs qui ont exagéré sur cette question. Pourquoi rejoindre le Grand-Sud par route alors que les avions existent ? Pour qu'un diplomate rallie le Sud par route, les AE sont contraints d'avertir les services de sécurité qui balayent et balisent tout le trajet. Toutes les brigades sont ainsi mobilisées“, indique-t-on. D'où l'approche “pratique et pragmatique” du ministère de favoriser les déplacements aériens. Le point de vue des diplomates Dans le milieu diplomatique, la circulaire n'étonne guère. Ce n'est pas la première et ce ne sera certainement pas la dernière, estime-t-on. Une source diplomatique précise à ce sujet que “si la situation sécuritaire a changé”, elle ne justifie pas pour autant l'“inconscience” dont font preuve parfois certains diplomates lors de leurs déplacements. Certains ambassadeurs se permettent aujourd'hui de sortir sans escorte même sur des tronçons “qui ne le leur permettent pas”. La procédure des AE est, selon nos sources, “cyclique”. Il s'agit d'une “security routine”. Contradiction : beaucoup de ces diplomates sont déjà concernés par un travel warning élevé émis par leur pays d'origine pour les déplacements à l'intérieur de l'Algérie, notamment dans le Grand-Sud depuis l'enlèvement des touristes étrangers à Illizi et les menaces d'éventuelles attaques contre les intérêts étrangers, et particulièrement américains par le GSPC de Mokhtar Belmokhtar. “Cela fait partie de l'intérêt des autorités algériennes de garantir la sécurité des diplomates lors de leurs déplacements. Si nous avons énormément de privilèges, nous avons également des obligations dont celle de respecter les lois en vigueur dans le pays d'accueil. Nous sommes tenus d'informer les autorités de nos déplacements”, précise un diplomate qui estime que les AE ne visent qu'à “assurer la sécurité des diplomates”. Certains justifient toutefois le besoin qu'ils ont de se déplacer. “Il y a un désir réel de la part de beaucoup de chancelleries de voir sur le terrain si la situation sécuritaire s'est réellement améliorée”, précisent-ils. Pour un autre membre du corps diplomatique, cette procédure n'est pas une “contrainte”. Bien “au contraire”, le diplomate estime qu'une telle mesure “facilite la tâche”. “Il m'est arrivé plusieurs fois de me déplacer, donc de demander l'autorisation. Les AE ont répondu immédiatement à ma demande. Cela permet aux diplomates de travailler en toute sécurité et quiétude”, assure-t-il. Même dans les représentations diplomatiques, on estime que la situation “dégénère” parfois. Les diplomates exagèrent, et ils le savent. “La procédure en vigueur est d'aviser une semaine à l'avance. Certaines chancelleries ne le font que deux jours avant et mettent la pression avec comme argument justificatif que, aujourd'hui, il n'y a plus de problèmes en Algérie”, précise une source diplomatique. D'autres mettent en avant “la mobilisation d'un dispositif sécuritaire lourd pour des déplacements d'agrément dans les régions de Tipasa, Cherchell, Chenoua ou encore Chréa”. Quelques diplomates reconnaissent aussi qu'il y a “des abus : des déplacements non justifiés d'un point de vue politique, économique ou culturel”. Les Affaires étrangères se retrouvent aujourd'hui entre le marteau et l'enclume. D'un côté, elles veulent favoriser la découverte de l'Algérie par des diplomates plus habitués à leurs “bunkers”. De l'autre, elles ne veulent pas d'une situation “anarchique” où aucune règle d'usage n'est respectée. “La politique menée actuellement vise à pousser les diplomates à voir les changements et l'évolution de la situation, ce qui favorise et draine l'investissement. Malheureusement, il y a eu des excès importants de la part de certains diplomates”, estime-t-on. Par cette mesure, Alger prend ses précautions pour éviter qu'elle ne fasse les frais du non-respect des règles d'usage par certains membres du corps diplomatique. D'autant que la sécurité a un coût important, mais pas de prix. Samar Smati