Le procès intenté par la famille du défunt avait été reporté à deux reprises pour des motifs d'ordre pratique. Rappelons que M. Chedri, personnalité très estimée à Sétif, âgé de 53 ans, avait été admis, dans un état alarmant, au service des urgences de l'hôpital de Sétif dans la nuit du 16 au 17 octobre 2002 pour une occlusion intestinale. Le diagnostic avait été effectué par un médecin résident. Celui-ci avait prescrit une intervention chirurgicale immédiate. Le chirurgien de permanence B1, qui avait quitté son poste, restera introuvable toute la nuit. Avant de partir, il avait pourtant consulté le malade très sommairement, diront les témoins. Il aurait dû pourtant être joignable au téléphone. Un infirmier et un ambulancier se rendront à trois reprises à son domicile, mais sans résultat. Un autre chirurgien, le Dr B2, pressenti par l'administration pour remplacer au pied levé son confrère absent, refusera catégoriquement de la faire, malgré le risque de décès. Il refusait, dit-on, de faire le “travail” des autres. Mlle Kebiche, médecin de garde, a fait tout son possible pour alerter l'administration et venir en aide au malade. En vain. Entre temps, celui-ci se tordait de douleur. Selon son épouse, il savait qu'il risquait la mort et suppliait qu'on l'opère. Son épouse, son fils, le médecin de garde et même des malades allaient se dévouer et se démener pour inciter l'administration à trouver une solution. Mais rien n'y fit. Un anesthésiste conseilla à Mme Chedri de faire évacuer son mari sur une clinique privée pour y être opéré avant qu'il ne soit trop tard, mais l'administration s'opposa fermement à cette solution. Il ne pouvait être question que l'hôpital puisse recourir aux services de cliniques privées. Pourtant, tout le monde sait que ce sont les chirurgiens de l'hôpital qui y officient. Mais, c'est un autre sujet. Mme Chedri et son fils allaient être invités à rentrer chez eux. Avait-on voulu leur éviter d'assister au décès du mari et père ? Lorsqu'ils reviennent aux nouvelles, au petit matin, M. Chedri était mort. Des malades, des infirmiers et des parents de malades étaient révoltés et se proposaient tous de témoigner sur ce qui venait d'arriver. Un climat de fronde régnait à l'hôpital. Avait-on laissé mourir un homme ou l'avait-on plutôt assassiné en ne lui prodiguant pas les soins urgents qui lui avaient été prescrits ? Pourquoi, en l'absence du chirurgien de garde et de la dérobade du deuxième, le malade n'avait-il pas été évacué sur Batna ou Constantine, distantes d'une heure trente seulement ? Pourquoi n'avait-on pas permis à son épouse de l'évacuer sur une clinique privée ? Le Dr B1 était enfin arrivé. Juste pour constater le décès. Son rapport fera état d'un décès provoqué par un arrêt cardiaque. Le médecin de garde refusera catégoriquement de le contresigner. Mme Chedri allait se présenter au tribunal. Elle forcera pratiquement la porte du procureur. Celui-ci, choqué par ce qu'il entendit, ordonna une autopsie et transmit le dossier à la juge d'instruction. La conclusion du médecin légiste du CHU de Batna, qui avait pratiqué l'autopsie, tombe comme un couperet : le décès était dû à une péritonite et non à un arrêt cardiaque. Mlle Kebiche, médecin de garde, qui avait suivi l'affaire de bout en bout, fit devant le juge d'instruction une déposition accablante pour les deux médecins. D'autres témoins n'en diront pas moins. La juge d'instruction disposait suffisamment d'éléments pour procéder à l'inculpation. Il fut donc retenu à l'encontre des deux médecins l'homicide involontaire et la non-assistance à personne en danger. Ce fut une première à Sétif où ces deux notables font partie du gotha. Jusque-là, malgré la clameur publique, des affaires gravissimes aux conséquences tragiques avaient toujours et systématiquement été étouffées. Dans cette wilaya, la deuxième du pays, on ne le dira jamais assez, certains milieux de la santé publique ont toujours été une citadelle inexpugnable où l'impunité se le dispute à l'impudence. De courageuses tentatives de faire éclater la vérité s'y sont brisées et ont valu à leurs initiateurs des représailles musclées. Nous avons ainsi appris que Mlle Kebiche, le médecin de garde qui avait eu le courage de briser le mur du silence et de témoigner contre ses propres confrères, s'est retrouvée, du jour au lendemain, au chômage. Serait-ce pour lui apprendre ce qu'il en coûte de violer l'omerta ? Ou pour avertir quiconque oserait faire pareillement ? Il n'en demeure pas moins que ce procès, très attendu, sera un tournant décisif dans le secteur très décrié de la santé publique. D. B.