La guerre des mosquées fait rage en Irak depuis mercredi et rien ne semble l'arrêter, même pas le déploiement policier impressionnant, ou encore le couvre-feu. Un point sensible a été frappé, et la réaction a été tout aussi impressionnante sinon foudroyante. Autant dire aussi que les appels à la raison n'ont pas connu le moindre écho. Dès mercredi, l'Ayatollah Sistani avait pourtant interdit toute représailles, rien n'y fait. Le bilan sera catastrophique, et le pire est à venir, s'il n'est pas déjà engagé avec une guerre civile que beaucoup à vrai dire appréhendaient. Et hier, jour de la grande prière hebdomadaire, malgré les mesures répressives, la journée avait mal commencé. Un muezzin chiite et un prédicateur sunnite ont été tués au nord et au sud de Baghdad, où treize corps non identifiés criblés de balles ont été découverts, ont indiqué hier la police et une source au ministère de l'Intérieur. Les corps des treize personnes ont été découverts hier matin dans différents quartiers de Baghdad, selon une source du ministère de l'Intérieur. Selon cette source, les corps ont les mains liées et sont criblés de balles. Il n'a pas été possible de déterminer l'identité de ces personnes. A Bassorah, ville située à 550 km au sud de Baghdad, une voiture piégée, garée près de la mosquée Al Abella, a explosé peu avant minuit jeudi, faisant deux blessés parmi des habitants, selon la police. Un représentant de l'Ayatollah Ali Sistani, la plus haute autorité religieuse chiite d'Irak, cheikh Ali Al Safi, officie dans cette mosquée. A Touz Khormatu, 180 km au nord de Baghdad, le muezzin d'une mosquée chiite, Abdel Khalek Mehdi, a été tué jeudi soir par balles par des inconnus devant son domicile, selon la police de Kirkouk. A Nassiriyah, 375 km au sud de Baghdad, des hommes armés à bord de camionnettes ont enlevé jeudi soir Raâd Al Chammari, prédicateur de la mosquée sunnite Faleh Bacha Al Saâdoun, à son domicile. Son corps a été retrouvé hier matin dans l'une des rues de la ville, selon la police. Cette ville, à majorité chiite, abrite trois mosquées sunnites, qui dès l'attaque du mausolée chiite à Samarra, ont été placées sous la protection des forces de sécurité et des partis politiques. Une protection bien dérisoire, car il en faut bien plus pour endiguer ce mouvement d'attaques et de vengeance, un cycle infernal, il faut en convenir, puisque au moins 130 personnes ont péri entre mercredi et jeudi, soit à peine vingt-quatre heures après l'attaque de mercredi contre un lieu saint chiite suivi de représailles antisunnites. La spirale de la violence confessionnelle, la première du genre depuis l'invasion américaine de l'Irak en mars 2003, a été provoquée par le dynamitage du mausolée des imams Ali Al Hadi et Hassan Al Askari dans la ville sunnite de Samarra au nord de Baghdad, qui n'a pas été revendiqué. La communauté internationale, les Etats-Unis en tête, a unanimement condamné cette attaque et mis en garde contre un embrasement général dans le pays, où le scénario de guerre civile inquiète depuis des mois les experts à Washington. Les forces de sécurité ont été placées en état d'alerte maximum en Irak où 150 000 soldats américains ont été déployés. Depuis cette attaque, au moins 80 corps de personnes tuées par balles ont été transportés à la morgue de Baghdad, alors que 47 ouvriers sunnites et chiites d'une briqueterie, ont été abattus à l'est de la capitale par des hommes armés, selon des sources hospitalières et de sécurité. Selon le comité des oulémas musulmans (sunnite), 168 mosquées ont été endommagées ou incendiées à travers l'Irak et dix imams et prédicateurs tués. Trois journalistes irakiens de la chaine satellitaire Al Arabiya, dont la jeune correspondante Atwar Bahjat, sur place après l'attaque de Samarra, ont été ensuite enlevés et tués. Craignant un conflit confessionnel, le président Jalal Talabani a convoqué les principaux chefs politiques pour étudier différentes mesures, mais la principale liste sunnite, le Front de la Concorde, a boycotté la réunion. Pour cette liste, « le gouvernement d'Ibrahim Jaâfari n'a pas été à la hauteur de ses responsabilités, car il n'a pas appelé à la retenue, et n'a rien fait pour contrôler la rue ». Dans un communiqué, M. Talabani a dénoncé les violences. « Il faut prendre garde au feu de la sédition, car s'il s'allume, il détruira tout sur son passage et personne n'en sortira indemne. L'éteindre est un devoir sacré qui ne peut se réaliser qu'à travers l'unité nationale ». Selon Mahmoud Osmane, qui a assisté à la réunion, « tous les chefs politiques irakiens ont exprimé leur angoisse d'une guerre civile et leur crainte de débordements lors des prières de vendredi » dans les mosquées. Prenant les devants, M. Jaâfari, un chiite, a appelé les chefs religieux sunnites et chiites à mettre l'accent sur l'unité de l'Irak dans les prêches d'hier. Il a annoncé la mise en place d'un plan de sécurité pour protéger les lieux de culte. Le grand Ayatollah Ali Sistani, la plus haute autorité religieuse chiite d'Irak, a de nouveau appelé à l'unité des Irakiens et à rejeter le recours aux armes. Et le chef radical chiite irakien Moqtada Sadr a appelé les « frères » sunnites et chiites à stopper les violences. Trop tard ? Dans une tentative de dédramatiser, la Force multinationale en Irak dirigée par les Etats-Unis, démentant l'existence d'une « guerre civile », a affirmé que le nombre d'attaques vérifiées contre des mosquées à travers le pays se montait à sept. « Il n'y a pas de morts dans les rues », a ajouté le porte-parole. Mais la communauté internationale a continué à faire part de son inquiétude et dénoncer l'attaque contre le mausolée, qui porte la marque du réseau Al Qaîda selon Washington. Le président américain, George W. Bush, a parlé d'un « acte politique » visant à semer la « discorde civile ». Et le secrétaire au Foreign Office Jack Straw a indiqué que le risque de troubles intercommunautaires était désormais plus grand. Sept groupes armés jihadistes, dont la branche irakienne d'Al Qaîda, ont accusé sur Internet le gouvernement irakien, la milice chiite Badr et l'Iran d'être derrière l'attentat contre le mausolée, et menacé de riposter aux « agressions » contre les sunnites. Dans d'autres violences, onze détenus ont été enlevés mercredi de leur prison et assassinés à Bassorah (sud) par un groupe armé. Le même jour, 7 soldats américains ont péri dans des attaques au nord de Baghdad. Depuis le déclenchement de la guerre en mars 2003, l'Administration américaine s'emploie officiellement à maintenir l'unité d'un pays déjà durement marqué par les différences communautaires. Après la victoire de la majorité chiite aux élections générales du 15 décembre, elle a appelé les Irakiens à former un gouvernement d'unité représentant les différentes communautés. Même la Grande-Bretagne, engagée elle aussi dans cette guerre, recommande une approche consensuelle au demeurant rejetée une première fois par les plus hautes autorités de la communauté chiite. C'est un de ses leaders Abdelaziz Hakim qui avait déclaré qu'une telle approche était contradictoire avec la démocratie. Ce qui est vrai. Mais cette évidence doit-elle s'appliquer stricto sensu à un pays menacé de démembrement ? Toutes les élections organisées par les Américains ont prouvé que la participation élevée était liée au réflexe communautaire. La loi du nombre a prévalu, et rien d'autre.