La dérive du 8 mars, en Algérie, s'est accélérée, cette année. Fait unique au monde, la gent féminine bénéficie d'une après-midi de liberté dont elle use de manière de plus en plus écœurante : une demi-journée qui, dans les villes, fait le bonheur des pâtissiers, tenanciers de pizzeria et marchands de glace. La débauche de casse-croûtes et de friandises remplace peu à peu la rose offerte ce jour de galanterie. Dans cet élan d'avidité, les jeunes filles s'adonnent, très nombreuses, à la pratique, toute l'année réservée aux mâles, de la drague, jetant de tous côtés leurs amorces, dans une espèce de revanche charmeuse. Un paradis pour dragueurs que ce 8 mars où les filles massivement corruptrices ratissent les avenues des grandes et même des petites villes ! Parfois aussi vulgairement que les polissons qui, d'habitude, les harcèlent sur le chemin de leur travail ou de leurs études. Le 8 mars, c'est aussi la récupération du droit d'être, elles aussi, effrontées, confondant dans cette soif de revanche contre la guérilla des “dragueurs” l'effort de séduction avec l'insolence. Vécue dans la rue comme un moment de dévergondage et de libertine galanterie à rebours, la “fête” de la femme est vécue dans les institutions comme un passage obligé qui contraint à des promesses plus qu'il ne constitue une opportunité d'apprécier la condition de la femme algérienne et d'imaginer quelque évolution à la situation de misère sociale et statutaire qui l'accable. La ministre s'en est tirée en tenant un séminaire à Ghardaïa, histoire de ne pas rien faire. Elle y encouragea les femmes à persévérer dans la “modernité” spécifiquement… mozabite. C'est-à-dire un archaïsme patriarcal où la femme ne quitte jamais l'ombre d'une architecture, au sens structurel et social, de mise au secret. Et pour mieux les garder là où elles sont, la ministre les exhorta à développer leur artisanat — cette forme de travail clandestin et souterrain qui produit notamment des tapis à Ghardaïa — qui, dit-elle, serait aussi rentable que le pétrole. Comme si la mission du ministère chargé de la Condition féminine était de diversifier la monoexportation énergétique du pays. Ainsi, quand elles ne font pas de tapisserie, nos femmes font des tapis. Et puisqu'il fallait une promesse, la ministre en fit une de celles que nos gouvernements savent le mieux faire : la mise sur pied d'une commission. Elle comprendra, entre autres experts, des théologiens. Sans les théologiens, le pouvoir FLN a su produire le statut le plus archaïque des femmes d'aujourd'hui. Alors, pensez-vous, si les doctes bigots s'y mettent… Et c'est toujours une femme qui se fait le plaisir de notifier au peuple le nouveau pas en arrière : Khalida Toumi semblait ravie d'annoncer, il n'y a pas longtemps, que la République se dotait d'un “dar el-ifta'” et, cette fois-ci, Boutheïna Cheriet jubile d'inclure des théologiens dans une hypothétique réforme qui, de toute manière, sera l'œuvre d'un pouvoir suffisamment intégriste pour se passer de la coopération d'experts en charia. A voir la disposition de certaines femmes à la surenchère sur les pires vices des hommes les plus rétrogrades, l'on est en droit de se demander : y a-t-il encore une cause féminine ? M. H.