Le président de la Laddh a qualifié l'avocat de “porte-parole” de M. Bouteflika. La Ligue algérienne pour la défense des droits de l'Homme (Laddhh) et Farouk Ksentini tentent, chacun de leur côté, de dire la vérité sur les disparus, mais ils n'y empruntent assurément pas le même chemin. Loin s'en faut. Un fossé large les sépare en réalité : la Ligue est autonome, Ksentini préside deux commissions officielles (l'une ad hoc sur les disparus, installée en septembre 2003 ; l'autre consultative concerne la promotion des droits de l'Homme) ; elle lutte en faveur de la levée de l'état d'urgence, il avoue être favorable à son maintien ; elle déclare l'Etat coupable dans l'affaire des disparus ; il lui reproche uniquement une part de responsabilité ; elle réclame une commission d'enquête pour la même affaire, il assure ne pas en diriger une de cette nature. La Laddh et sa direction ont eu, hier, le loisir de mettre publiquement à nu leur différence d'approche manifeste vis-à-vis de Me Ksentini. L'intervention, mercredi passé, de ce dernier au forum d'El Moudjahid a visiblement irrité Me Ali Yahia Abdenour et ses collègues. “Nous refusons à M. Ksentini le droit de parler au nom des droits de l'Homme, nous n'avons vu personne sur le terrain pendant toutes ces années ; les droits de l'Homme ne se défendent pas à travers les fax ni par le biais de communiqués”, a affirmé le président de la ligue, lors de la conférence de presse tenue au siège modeste de l'organisation, au centre d'Alger. Les critiques sont vives et franches. “Farouk Ksentini, accuse-t-on, est un capitaine mis en avant-garde par le pouvoir, on l'a toujours considéré comme étant un chargé de missions et il s'avère qu'il est devenu le porte-parole, voire le représentant personnel de Bouteflika. Le masque vient de tomber. Il pollue les droits de l'Homme. Désormais la question qui se pose est : va-t-il continuer à courir seul ou bien l'artillerie lourde (du pouvoir) suivra-t-elle ?” Le combat de la Laddh dépasse l'histoire de ce bras de fer avec le président de la Commission pour la promotion des droits de l'Homme (Cnpdh), il est en fait global. Pour elle, l'urgence aujourd'hui est de “libérer la liberté pour que, de son côté, elle fasse le reste”, et de “redonner sa dignité à la justice”. “On est en train de procéder à la liquidation de tous ceux qui n'ont pas participé à l'élection du président Bouteflika en avril dernier. La ligue, a averti Ali Yahia Abdenour, se dressera en vrai barrage contre les visées du pouvoir parce que les principes des droits de l'Homme sont touchés”. Il a précisé en défendre justement le principe (“Tous ceux qui sont privés de leurs droits”), pas l'idéologie ni les partis ou une quelconque philosophie. La position favorable de Me Ksentini au maintien de l'état d'urgence exaspère la Laddh. Lors du forum d'El Moudjahid, celui-ci avait fait savoir qu'il demeurait d'accord pour garder en vigueur l'état d'urgence, instauré en février 1992, jusqu'au rétablissement total de la sécurité. “Si on prétend en avoir fini avec le terrorisme, on ne peut accepter de proroger l'état d'urgence”, s'oppose la Ligue. Ce sont, s'emporte-t-elle, ces “lois d'exception qui permettent les dérives constatées du pouvoir”. Arrive donc la question des disparus. L'épineuse, la sensible question des disparus ! Farouk Ksentini, président de la commission ad hoc mise sur pied par le président de la République, estime “nécessaire de dire la vérité aux parents”. La Laddh n'en demande pas moins. Me Zehouane, vice-président, qualifie la démarche de la commission ad hoc de “perfide” : “Elle consiste, en définitive, à tenter d'acheter le silence et la renonciation à demander justice par la réparation matérielle. Ce sont des arrière-pensées politiques.” “Dès le début, observe-t-il, on a pris les familles des disparus pour des ennemis”, Ksentini veut une déformation de la réalité et procède par la ruse afin de classer l'affaire. Me Benissad, responsable de la Ligue pour la région d'Alger, relève qu' “on a écarté les familles des consultations et que la solution alternative serait de créer une commission dotée d'un vrai pouvoir d'investigation”. “L'impunité, a conclu Ali Yahia Abdenour, est un privilège des privilégiés. On ne peut tourner la page sans connaître la vérité. Contrairement à ce que dit Ksentini, l'Etat n'est pas uniquement responsable, il est aussi et surtout coupable”. L. B.