“La corruption constitue un phénomène assez fortement enraciné dans la société algérienne.” C'est le ministre de la Justice qui le confirme, à partir de Pékin, où se réunit pour la première fois l'Association internationale des responsables anticorruption. Le constat a-t-il encore besoin d'être établi ? La corruption et le détournement composent peut-être le mécanisme de la dynamique nationale. L'essentiel de la vie politique, économique, administrative, sportive et même culturelle se fonde sur le mouvement de redistribution illicite de la rente. Le spectacle en est une frénésie prévaricatrice : beaucoup d'activités semblent se justifier plus par les pots-de-vin qu'elles engendrent, les détournements qu'elles permettent et les largesses qu'elles autorisent. Ce que Abderrahmane Hadj Nacer, ancien gouverneur de la Banque d'Algérie, confirmait, hier, dans un entretien instructif à El Watan : “Aujourd'hui, l'enrichissement rapide n'est plus sujet à caution”, note-t-il, ajoutant qu'“il y a eu, ces dernières années, comme une légitimation de l'enrichissement qui n'était pas nécessairement issu d'une accumulation légale”. Pendant que la rente se dissipe, déviée par divers canaux détournés, tout le monde crie au scandale. Le gâchis est à ce point flagrant que les responsables politiques du pays ne se cachent plus de cette calamité. Ce n'est pas faute d'avoir essayé d'empêcher que les anomalies soient portées sur la scène publique. Bien avant que les observations de l'IGF sur les relations Sonatrach-BRC ne soient en partie rendues publiques, des journalistes ont été condamnés à des peines de prison ferme pour avoir dénoncé ce qui paraît être un cas d'insoutenable abus de gestion. Si, comme le déclare le ministre de la Justice, la corruption s'est à ce point “socialisée”, c'est que l'arsenal juridique, dont le pouvoir se prévaut pour attester de sa volonté de moraliser la vie économique du pays, n'est pas d'une grande efficacité dissuasive et n'a pas, non plus, une grande présence répressive. Aujourd'hui, beaucoup de dossiers de malversations suivent patiemment la procédure d'instruction judiciaire. Dans son édifiante interview, Hadj Nacer explique clairement l'impossible réhabilitation : “Le phénomène de la corruption n'est donc pas spécifiquement lié au système bancaire, mais se rapporte à l'Etat dans son ensemble : c'est le type d'Etat qui conditionne l'économie.” Si l'on ne rend pas leurs prérogatives et leur autonomie aux institutions, nous restons condamnés à un fonctionnement politique de l'économie et à une affectation autoritaire des richesses nationales. Un système dont la redistribution de la rente est la finalité et la fonction ne peut pas se payer le luxe de la transparence. Au mieux, il peut en faire un slogan. Il y a même quelque paradoxe à se plaindre de la corruption tout en s'accommodant de l'absence de démocratie. Or, il s'agit justement de choisir l'allocation arbitraire des ressources et leur juste répartition. Et cela, c'est un choix politique. M. H. [email protected]