Afin d'être à la hauteur des exigences internationales de lutte contre la corruption auxquelles il a volontairement adhéré, le gouvernement algérien s'attelle depuis un peu plus d'une année déjà à la mise en place d'un dispositif traitant ce fléau sous le double aspect de la prévention et de la dissuasion. L'avant-projet de loi que le Conseil du gouvernement a examiné mercredi dernier constitue un signal fort en direction des investisseurs étrangers échaudés par ces pratiques mafieuses devenues si courantes qu'elles ont été officiellement portées à la connaissance des autorités algériennes par la Banque mondiale. Il est également très attendu par le simple citoyen qui ne peut plus obtenir un service d'une administration sans faire valoir des appuis qui l'aideront, selon le cas, à accélérer une procédure légale ou à obtenir un avantage indu. Car, même s'il faut reconnaître que ces pratiques ne sont pas exclusives à l'Algérie, force est de constater que la corruption a fini par s'imposer comme un mode d'administration et un moyen privilégié de redistribution des privilèges. Les transactions en vue de l'octroi de faveurs de diverses natures (octroi d'un contrat, remise ou non-paiement d'impôts, octroi d'un logement ou d'un terrain etc.) se négocient en effet bien souvent selon cette logique clientéliste corruptrice. La société en est si gangrenée que le mal est perceptible à tous les niveaux, pis encore, il est bien souvent présent au sein même des instances chargées de le combattre. Tous les gouvernements qui se sont succédés à la tête du pays avaient pourtant fait de la lutte contre ces fléaux une priorité (un observatoire a même été mis en place par l'ex-président Liamine Zeroual) mais, parce qu'elles ont été incapables d'agir sur le système qui les a générées, les actions menées dans ce cadre ont beaucoup plus consisté à produire des slogans qu'à mettre en œuvre de véritables stratégies d'éradication. La lutte contre la corruption n'est pas en effet une mince affaire dans un pays qui a érigé la répartition clientéliste de la rente en mode de gestion depuis l'indépendance du pays à ce jour. La société algérienne en est de ce fait profondément imprégnée et le pays devenu au fil des ans un terrain de prédilection pour la corruption. Au nom d'un populisme qui ne favorisera pas toujours les plus démunis, les autorités algériennes ont promu toute une panoplie de dispositions qui ont fait le lit de la corruption : désignation clientéliste de responsables, distribution tout aussi clientéliste de logements, de véhicules, octroi des bourses et prises en charge médicales à l'étranger, etc. Les faveurs étaient bien souvent octroyées selon des critères subjectifs ou en contrepartie d'avantages matériels, ouvrant la voie à la corruption et au favoritisme. Elles ont, en outre, constamment entretenu le flou entre ce qui est légal, interdit ou toléré, entre le licite et l'illicite, ce qui favorise l'intervention à tout moment de l'arbitraire politique pour retirer ou redistribuer des avantages indus à de nouvelles clientèles. Mais le plus grave, lorsque le mal s'est profondément enraciné dans la société, il réside dans les liens de solidarité (bien souvent inconscients) qui se tissent entre les milieux qui tirent profit de la corruption et certains représentants de la société civile, pourtant censés la combattre (syndicats, partis politiques de gauche, etc.). L'alliance contre nature est surtout perceptible à travers le refus partagé de rompre avec le mode de gestion rentier et bureautique de l'économie et des services publics qui secrète la corruption et le le favoritisme que les pouvoirs publics et la société civile condamnent pourtant publiquement. La redistribution de la rente, la double absence d'une économie de production de richesses et d'un régime de taxation, la confusion entre le public et le privé, la non-efficience de l'éthique du service public favorisent la généralisation des pratiques corruptrices et de la prédation dans le contexte de précarité intense que vit le pays. Lorsque la corruption atteint les fonctionnaires, c'est l'Etat qui s'en trouve affaibli. Peut-on déceler cette fois une réelle volonté du gouvernement algérien de lutter contre la corruption ? Un certain nombre d'actions concrètes, de portée internationale (ratification d'un protocole onusien de lutte contre la corruption et le blanchiment, adhésion à des organisations internationales anticorruption) et le contenu même du projet de loi qui durcit les peines et confie la lutte à une institution exécutive pérenne peuvent, à l'évidence, être interprétés comme des signaux forts.