Près de 700 maisons d'édition dont 120 algériennes vont animer, à partir d'aujourd'hui, l'événement éditorial le plus important de l'année et le plus attendu. Hier, jusqu'en fin d'après-midi, les livres étaient dans les cartons, et le salon sens dessus dessous. Comme à chaque édition, le livre “star” reste le “kitab islami”… Safex, Pins-Maritimes, à J-1 de l'ouverture solennelle du 11e Salon international du livre d'Alger (Sila). Il est 14h passées et en nous promenant dans les travées du salon, une image domine : la plupart des livres qui devront, à partir d'aujourd'hui, orner les étagères des différents stands sont encore dans les cartons. Certains éditeurs n'ont pas même réussi à sortir leurs cartons de la zone sous-douane aménagée dans l'un des hangars de la Safex. C'est le cas de cet éditeur égyptien, gérant de Dar Rajab, une maison qui fait dans le livre religieux, et qui attend de pouvoir récupérer ses exemplaires répartis sur 200 titres. “J'attends depuis ce matin. J'ai rempli toutes les formalités. La procédure a été facile, mais il reste ce problème de retrait de nos lots de la zone sous-douane”, dit-il. Notre interlocuteur affirme qu'aucun des 200 titres proposés n'a fait l'objet d'une censure. À l'intérieur du hangar, une foule se débat avec les agents des douanes pour retirer leurs lots. “Nous allons devoir passer la nuit ici à ranger nos livres apparemment”, peste l'éditeur. Un douanier posté à l'entrée de la zone interdite rassure : “Nous prenons la situation en main. Nous exigeons juste des concernés un visa et qu'ils viennent récupérer leurs livres. Il n'y a aucune taxe à payer.” Par visa, il faut entendre un quitus délivré par une commission composée, entre autres, du ministère de la Culture, du ministère des Affaires religieuses et des services de sécurité pour s'assurer qu'aucun des titres introduits ne porte atteinte aux sacro-saintes valeurs des tenants de l'ordre. Un éditeur algérien, en barbe et qamis, des éditions Errachid, se dit pour le contrôle de l'Etat sur le livre religieux : “Personnellement, la censure ne me gêne pas. Cela permet de filtrer la bonne graine de l'ivraie. Parfois, des esprits malintentionnés font écouler des livres douteux sous l'étiquette “livre religieux”, argue-t-il. Cet éditeur confie qu'il fait imprimer ses titres au Machreq : “Ils ont du papier de qualité et en plus, ce n'est pas cher”, explique-t-il. Pour lui, il ne fait aucun doute que la préférence du lecteur algérien va pour le “kitab islami”. Toujours à propos du visa, il faut dire que cette formalité bloquait la plupart des importateurs. Aussi, la plupart des stands étaient-ils en chantier. En attendant la réception des livres, les éditeurs peaufinent l'espace qui leur est imparti (loué à raison de 73 $ le m2 et 50 $ l'étagère pour les étrangers). Le pavillon “européen” est encore à l'état d'ébauche comparativement au pavillon “Peshawar” comme l'appellent les mauvaises langues, dominé qu'il est par la littérature islamique. Des techniciens s'affairent à équiper les stands en étagères, mobilier et matériel d'éclairage. C'est la course contre la montre, et M. Boucenna, P-DG de l'Anep, veille personnellement au grain, tandis que des jeunes filles passent dans les travées proposer leurs services en tant qu'hôtesses. Professionnaliser le Sila Fabienne Pavia, directrice des éditions Le Bec en l'air, basées à Aix-en-Provence, s'affaire à déballer ses cartons. Outre sa maison d'édition, elle représente 15 éditeurs de la région Paca regroupés sous le label Editeurs sans frontières. “Nous avons ramené quelque 2 000 titres que nous proposons avec 50% de réduction”, souligne-t-elle. Abdallah Benadouda des éditions Chihab attend, lui aussi, de pouvoir s'installer enfin. Il assure, entre autres, la distribution d'Actes-Sud/Sindbad. Pour gérer le rayon Actes-Sud, il a fait appel à un libraire professionnel, en l'occurrence Abdennour Belanteur, gérant de la librairie El-Ijtihad. “Ce que nous aimerions, c'est que les éditeurs qui participent au salon confient leur stand à des libraires professionnels. Cela permet à ces derniers de continuer à tourner et en même temps de mettre leur expérience au service du livre, autrement, cela devient une foire”, fait observer Abdennour Belanteur. “Il faut professionnaliser le salon, sinon, ça deviendra une braderie”, ajoute M. Benadouda. En tant qu'éditeur, il pense que le salon n'est pas l'espace adéquat pour lancer un nouveau titre vu que le livre édité en Algérie est vite noyé dans ce souk dominé par le livre étranger. Qu'en est-il du volet animation ? Abdallah Benadouda estime que les organisateurs auraient gagné à consulter les éditeurs quant au choix des thèmes. Pour lui, marginaliser les auteurs locaux ne sert pas la littérature produite en Algérie, encore moins le marché algérien de la fiction. Sid-Ali Sakhri, fondateur de la toute nouvelle librairie Mille-Feuilles et membre de la commission de programmation du Sila, rétorque en faisant valoir que “la règle veut que ce soient les stars qui fassent la publicité du salon et le rendent attractif. Inconsciemment, nous ne faisons que refléter l'état de notre paysage éditorial dans lequel les jeunes auteurs sont snobés”, plaide-t-il. Et d'inviter les éditeurs à s'impliquer davantage auprès des organisateurs au lieu de “bouder” l'espace réservé au débat. M. B.