En ce 52e anniversaire du déclenchement de la Révolution, chez la fille unique de feu Mustapha Ben Boulaïd, on découvre un sentiment, pour ne pas dire un goût, d'inachevé. Né en 1917 à Arris, en plein cœur des Aurès, Mustapha Ben Boulaïd, et après des études primaires, rejoint le mouvement national, à travers le PPA. Lors de la Seconde Guerre mondiale, il est mobilisé pour défendre la France. Une décennie après, il porte les armes contre cette même France qui tient à son statut de puissance coloniale malgré les mutations des données algériennes et géopolitiques de l'époque. Mustapha Ben Boulaïd participa avec brio aux élections truquées pour l'Assemblée nationale de 1948 sous la houlette du PPA/ MTLD. Après cette date, il est de ceux qui ne croient plus à l'action strictement politique pour acquérir l'indépendance. Il est, alors, membre actif de l'OS puis du CRUA. Il présida la réunion des 22 et sera membre du comité des 6 qui a déclenché la révolution. Il est chef de la zone I des Aurès qui recevra les premiers maquis. Issu d'une famille aisée, il finança de ses propres biens l'achat des premières armes pour les Aurès. Arrêté en février 55, il est condamné à mort par le tribunal militaire de Constantine. Novembre 1955, il réussit, avec Tahar Zbiri, à s'évader de la prison du Koudiat. Le 22 mars 1956, après avoir pris part à plusieurs batailles, il tomba au champ d'honneur. Être l'enfant d'un héros de la dimension de Mustapha Ben Boulaïd, 52 ans après le déclenchement de la Révolution auquel le papa a donné le coup de starter, est ce que Nabila, sa fille, la cinquantaine aujourd'hui, a accepté de me raconter. Responsabilité morale En ce 52e anniversaire du déclenchement de la Révolution, chez la fille unique de feu Mustapha Ben Boulaïd, on découvre un sentiment, pour ne pas dire un goût, d'inachevé. Pour Nabila, “tant que les faits de notre histoire n'ont pas fait l'objet d'une écriture à la fois exhaustive et sincère de la part des historiens, aussi longtemps que les témoignages des acteurs de la période coloniale n'ont pas été recueillis dans le cadre d'un travail scientifique et pédagogique, Novembre restera inachevé”. On l'écoutant, à travers les longs silences qui entrecoupent la fusion de ses mots, on sent le poids d'un fait de conscience peser sur ses épaules. Celle d'être la fille d'un fondateur de l'Etat algérien moderne. Cette conscience remonte aux premières heures de l'Indépendance. “Depuis toujours. Le jour de l'indépendance, à Batna, j'étais encore enfant. Nous sommes sortis dans la rue pour célébrer la victoire. J'entendais la foule, dans laquelle j'étais mêlée, scander le nom de Mustapha Ben Boulaïd. Depuis, j'ai pris conscience que porter le nom de ce héros est une lourde charge que je dois assumer toute ma vie. Mieux, depuis les manifestations de 1962, Mustapha Ben Boulaïd est devenu plus qu'un père. Dans ma symbolique, il est aussi un étendard dont j'ai hérité et que je dois porter et garder haut”, m'explique-t-elle. Un véritable sentiment de détentrice de l'héritage s'empare de Nabila lors de certaines conjonctures. “À chaque halte avec l'histoire. Le jour de commémoration des moments forts de la révolution et de la tombée au champ des martyrs. À chaque fois que mon pays traverse de mauvais moments ou réalise des épopées, je me sens, malgré moi, en plein dans les événements avec ce sentiment de responsabilité morale.” Une responsabilité que la Ben BoulaId assume même quand il est question de la relation qu'entretient la nouvelle génération, dont ses propres enfants, avec Novembre. En risquant de l'interroger si la nouvelle génération est digne des sacrifices d'hier, elle explique : “La question n'est pas à formuler de la sorte au risque de biaiser le débat. C'est à nous, la génération dite adulte, ou encore celle qui se sent détentrice d'une responsabilité morale dans la transmission des idéaux de Novembre de se demander si on a fait le nécessaire pour que nos enfants soient fiers de leur histoire ? Les jeunes sont victimes, entre autres, de notre démission.” Il n'y avait pas de politique à faire mais des calculs Nabila, dont le nom de famille a été instrumentalisé à maintes reprises, est restée loin de la politique. Non pas faute de motivation mais parce qu'elle à une autre vision de la chose. “J'ai toujours activé au sein du mouvement associatif. Pour moi, l'action politique est un engagement sur un ensemble de grands et sérieux chantiers d'idées, d'économie, de culture et de social. Tant que faire de la politique est assimilable à une carrière cela ne m'intéresse pas”, m'explique- t-elle. Plus loin, elle ajoute : “Il faut dire que ces 6 dernières années, les choses ont changé. Avec le président Bouteflika, de nouvelles mœurs politiques sont en train de s'installer. Les politiques et les gouvernants ont, désormais, des objectifs quantifiables à atteindre. On assiste à un nivellement par le haut. C'est pour cela que je crois que les conditions d'une action politique saine commencent à se réunir pour ceux qui veulent faire de la politique, autrement.” Il est curieux que dans un pays où la culture de l'instrumentalisation de la Révolution a fait ravage, la fille de Ben Boulaïd ne soit pas sollicitée. Nabila Ben Boulaïd a son explication. Selon elle, “parmi le lourd fardeau que j'ai hérité, il y a celui d'être, comme le reste de mes frères, l'enfant d'un homme qui, avant de prendre les armes, a milité politiquement contre le colonialisme. La politique, chez nous, est noble. C'est une culture. Mon père croyait à la nation algérienne, à l'égalité des hommes et à la dignité humaine. On lui a proposé un poste de député et une ferme en France contre le reniement de ses engagements. Il a préféré prendre le maquis, lui qui venait d'une famille aisée. Il a vendu ses biens pour financer la Révolution. Dans mon sub-conscient façonné par l'image du père, la politique est un sacrifice. Alors, on ne nous a pas invités à faire de la politique par le passé, et Dieu merci, parce qu'il n'y avait pas de politique à faire mais des calculs dont tout le monde savait qu'on n'en a pas besoin. On est porteur d'un message fort, celui du Chahid”. Le phœnix va renaître de ses cendres Mme Ben Boulaïd célèbre le 52e anniversaire du déclenchement de la Révolution dans une conjoncture marquée par le débat sur la réconciliation nationale. Pour elle, “dans la vie, qui n'est autre qu'une multitude de crises, il faut combattre pour ses idéaux et savoir pardonner le moment venu. Surtout quand c'est pour l'intérêt suprême de la nation”. Allant dans la confidence, elle me raconte que “Mustapha Ben Boulaïd, avant de rejoindre le maquis, est allé tendre la main aux membres d'un "arch" dans les Aurès avec qui les nôtres étaient en conflit. La veille du déclenchement de la Révolution, on n'avait pas le droit de regarder juste devant sa porte. Plus tard, les ravages de la politique de la diversion menée par les services spéciaux français ont donné raison à mon père”. Pessimiste, la fille de Ben Boulaïd ? Pas si sûr. Elle pense que “l'Algérie, depuis l'amorce des grands chantiers par le président Bouteflika, est à la croisée des chemins. La preuve, qu'on peut sortir du gouffre, existe désormais à travers une volonté politique bien affichée. Reste que le chemin est long. Le retard accumulé par 130 ans de colonialisme est énorme. La 31 octobre 1954, l'identité algérienne était quasi anéantie. Mais le phœnix va renaître de ses cendres !” Mourad KEZZAR