Celui dont le destin est lié au combat libérateur de l'Algérie et au nom mythique de Djamila Bouhired revient sur son parcours d'avocat-militant pour dire sa reconnaissance à Alger, qui fut pour lui “une rencontre capitale”. Invité vedette de la 11e édition du Salon international du livre d'Alger, le célèbre avocat Me Jacques Vergès est revenu, hier, sur son expérience militante et son compagnonnage avec le FLN, lui qui avait fait partie du collectif des avocats du Front de libération nationale lors de la Bataille d'Alger et qui fut le défenseur, entre autres, de cette icône nationale qu'est Djamila Bouhired. C'était à l'occasion d'une table ronde autour du thème de l'écriture de l'histoire, et à laquelle ont pris part d'anciens officiers du Malg et d'anciennes moudjahidate, sous la direction de Omar Lardjane, un brillant universitaire et chercheur au Cread. “L'écriture de l'histoire est une chose importante, certes, mais la prise de position est nécessaire. Nous ne pouvons pas attendre que les historiens viennent nous dire ce qu'il fallait faire”, souligne Me Vergès en guise de déclaration liminaire pour situer la place du témoin qu'il est dans le processus complexe de l'écriture de l'histoire de la guerre de libération nationale, et, plus particulièrement, de son volet chapitre “judiciaire”. Et, à ce propos, Me Jacques Vergès évoquera comment il s'est retrouvé au barreau d'Alger auprès des détenus du FLN, en 1957, en pleine fournaise de la Bataille d'Alger, lui le jeune avocat stagiaire envoyé par des avocats de gauche plaider la cause algérienne. “Ma rencontre avec le FLN pendant la Bataille d'Alger fut capitale”, confie-t-il, avant d'expliciter son propos en racontant comment cette rencontre éveillait en lui une prise de conscience radicale par rapport aux affres du système colonial : “C'est à Alger que je découvrais, moi qui étais pourtant issu d'une mère vietnamienne et d'un père réunionnais, l'horreur du colonialisme.” Dans la foulée, il s'étalera sur “les confrères jetés du sixième étage, la torture systématique pratiquée par les 5 000 policiers qui quadrillaient Alger, les parachutistes du général Massu…” “Cet épisode va m'influencer toute ma vie”, appuie-t-il, avant de faire observer : “Je découvrais qu'une démocratie peut commettre des crimes au même titre qu'un régime totalitaire.” Me Vergès insistera longuement sur le fait que l'“opinion publique était au courant des tortures commises.” “À Alger, l'hypocrisie était au pouvoir. On avait érigé des centres de torture près des tribunaux. Evoquant les exactions du général Aussaresses, au grade de capitaine à l'époque, il dira : “Quand le 4 mars 1957, on avait exécuté Larbi Ben M'hidi, on avait fait passer son assassinat pour un suicide. Aussaresses a avoué lui-même avoir torturé et tué des centaines de personnes. Et il envoyait des rapports détaillés au général Massu, au ministre résident Lacoste. Tout le monde était au courant de ces tortures, y compris Mitterrand. Tous étaient au courant des tortures, des gens qui étaient fusillés dans la forêt de Baïnem…” François Mitterrand était, faut-il le rappeler, ministre de l'intérieur à l'époque. Et de s'écrier : “En tant qu'avocat, fallait-il discuter avec ces juges militaires aux mains pleines de sang ?” Pour Me Vergès, la seule stratégie de défense éthiquement honorable était d'adopter ce qu'il appelle un “procès de rupture” vis-à-vis d'un “tribunal aux ordres”, d'un système juridique foncièrement colonialiste. “Nous, nous disions que la violence du FLN était fondée et que l'autre violence était une violence criminelle, une violence d'occupation. Et c'est sur cette base que nous plaidions la rupture en allant défendre la cause du FLN partout dans le monde”. Me Vergès qualifiera les procès des prisonniers du FLN de “procès magiques” : “Dans ces procès, nos clients qui étaient qualifiés de criminels devenaient dans nos plaidoiries des martyrs et des héros.” Et de clore son plaidoyer du jour par une émouvante marque de reconnaissance. “Et c'est pour tous ces acquis de la Bataille d'Alger que je voudrais vous dire merci”, a-t-il lancé à l'adresse d'une assistance totalement conquise. À noter qu'au terme du débat qui a suivi cette rencontre, l'avocate Me Benbraham, en sa qualité de présidente de l'instance de décolonisation des relations algéro-françaises, a invité Me Vergès à soutenir la démarche de ce collectif pour obtenir la reconnaissance des crimes coloniaux comme des crimes d'Etat. En outre, Me Benbraham a sollicité le parrainage de Me Vergès pour la récupération des archives judiciaires de la révolution algérienne et en particulier le dossier du chahid Ahmed Zabana. Et, sans l'ombre d'une hésitation, Me Vergès s'est dit tout à fait disponible pour s'associer à cette noble initiative. Amina Hadjiat et M. Benfodil