C'est étrange comme l'adversité peut avoir des vertus fédératrices. C'est ce qui s'est observé à la veille de la parade des homosexuels à Jérusalem. Tolérée jusqu'ici, cette manifestation a connu, cette année, une opposition résolue de la part des juifs radicaux. Mais aussi des chrétiens et des musulmans qui refusent de voir cette manifestation polluer la ville sainte. Ce qui surprend le plus n'est pas tant dans le fait que des édiles des trois religions se mobilisent contre ce qui est, à leurs yeux, une manifestation de débauche, mais de voir que dans le fracas qui ensanglante la Palestine, des religieux, juifs et musulmans, ont trouvé une raison de se solidariser. Un imam, qui a assisté à une réunion d'ultra-orthodoxes juifs, a prévenu, et en hébreu, contre la colère de Dieu qui pourrait infliger à El-Qods ce qu'il a infligé au peuple de Loth dans les villes de débauche de Sodome et Gomorrhe. Deux artistes, l'un palestinien et l'autre israélien, ont chanté en duo pour dénoncer cette marche perverse. Devant une intolérable démonstration d'existence d'homosexuels, les extrêmes se rejoignent, oubliant l'affrontement par lequel leurs communautés respectives se disputent la souveraineté sur la ville et sur ses dépendances territoriales. Dans ce jeu à trois, à quatre dans ce cas-ci, les dogmes trouvent enfin un terrain d'entente : sauver Jérusalem du péril rose. Pourtant, il y a bien plus fort motif à se scandaliser qu'une gay pride en terre de Palestine. Surtout quand cette procession déhanchée se donne le statut de “world pride” et appelle à l'“amour sans frontières”. Il y a quelque cynisme, en effet, à se pavaner en couleurs au moment où, à quelques dizaines de kilomètres de là, à Beit Hanoun, les chars israéliens achevaient leur macabre chassé-croisé. Il y avait peut-être là une bien meilleure raison de se sentir offensé par le spectacle que son aversion fanatique pour l'exhibition homosexuelle. Mais les ultra-orthodoxes juifs ne semblent avoir de souci que pour leur bigote sensibilité et les quelques chrétiens et musulmans qui enfourchèrent, à leur tour, le cheval de bataille de l'indécence avaient oublié qu'il y a avait plus urgent à sauver que l'ascétisme d'El-Qods. La parade aux prétentions sentimentales eut lieu, sourde aux cris des Palestiniens, dans l'ignorance des injustices qui éprouvent les populations assiégées des territoires voisins. D'être homosexuel dispense-t-il d'être homme ? Ou le statut identitaire de victime autorise-t-il le mépris des grandes causes ? C'est, comme une étrange complicité, que des religieux s'opposent au défilé des homosexuels pour ce qu'ils sont et non pour ce qu'ils font. Une manifestation malvenue. Pourtant, ce qui n'était pas saint dans cet événement, c'est de fêter l'amour en un lieu dont on a fait l'enfer de tout un peuple. Bilan au petit matin de cette nuit d'amour universel et de protestation sélective : une dizaine de manifestants ultra-orthodoxes arrêtés et huit Palestiniens tués. M. H. [email protected]