La pluie a été hier au rendez-vous à l'arrivée du ministre français de l'Intérieur à Alger. Cela a d'ailleurs suscité pas mal de blagues dans les rangs des journalistes, parfois des fous rires ; certains estimant que “c'est un mauvais jour” pour Nicolas Sarkozy. Le retard de l'avion du ministre a également permis d'échanger des avis entre confrères, notamment sur “l'enjeu” d'une telle visite, à la veille d'une élection présidentielle dont “la campagne a déjà commencé”. Le dénominateur commun ? Les professionnels de l'information des deux pays sont tombés d'accord pour dire que l'invité de l'Algérie ne repartira pas aujourd'hui, “sans annoncer l'allégement des procédures de délivrance des visas”. Bon nombre d'entre eux ont convenu que le président de l'UMP (parti de droite au pouvoir) porte actuellement “deux casquettes”, celle de représentant de l'Etat français et celle de futur candidat à la présidentielle. “En ce qui me concerne, je pense qu'il vient en Algérie en tant que candidat”, a soutenu une journaliste de BFM/TV. Cette dernière s'est montrée déçue par les écrits de la presse algérienne sur Nicolas Sarkozy. “Je suis interrogative sur ce positionnement”, a-t-elle témoigné en se demandant “pourquoi c'est autour de lui qu'il y a cristallisation du mécontentement”. “Manifestement, son discours est incompris”, a-t-elle fini par conclure. La même question est revenue dans la bouche d'une journaliste de Radio France qui a indiqué : “On a lu ce matin la presse algérienne. Elle est critique vis-à-vis de Sarkozy et même agressive.” Son collègue de radio France-Inter est plutôt plus nuancé. “Il y a une part de sincérité et une grosse part électoraliste chez Sarkozy. Il est culotté : avec lui, c'est tout et son contraire”, a confié ce Corse. Il a qualifié de “provocateurs” les propos tenus par le responsable de l'UMP concernant l'immigration choisie. “Ce qui choque en lui, c'est sa façon de présenter les choses : crûment. Il a un franc-parler, mais ça fait partie du personnage”, a encore affirmé le journaliste français, en faisant part de ses craintes, devant l'hypothèse de nouveaux flux d'immigrés vers la France. Une autre journaliste de RTL, ayant des parents originaires d'Algérie, a été catégorique, quant à la portée de la visite de Sarkozy dans la capitale algérienne : “ça va servir sa campagne électorale en France.” Elle a cependant déploré l'adoption de cette loi “stupide” du 23 février 2005, qui glorifie la colonisation, en notant : “C'est dommage que les deux pays n'aient pas de bonnes relations. On devrait trouver un compromis et user de mots pour ne pas blesser l'autre. On a trop besoin les uns des autres.” Il est presque 15h, lorsque Yazid Zerhouni, le ministre de l'Intérieur, a franchi l'esplanade de Riadh El-Feth, aux côtés de son homologue français. Une fois la gerbe de fleurs déposée par les deux hommes devant le sanctuaire des martyrs, l'invité de l'Algérie s'est enfin exprimé, malgré la grande bousculade. Nicolas Sarkozy a confié qu'il est venu “dire aux représentants du peuple algérien que l'amitié entre nos deux peuples est importante”. “Je suis venu en ami (…) pour trouver des solutions aux différends auxquels nos deux pays sont confrontés”. Quels sont ces problèmes ? demandons-nous. “C'est qu'il y a des problèmes !” se limitera-t-il à nous répondre. La seconde étape de la visite a été consacrée au cimetière chrétien de Bologhine (ex-Saint Eugène), dont une partie, séparée par un mur, a été aménagée pour les morts de la communauté juive. Des gerbes de fleurs ont été déposées, cette fois, par Sarkozy et Ould Kablia, ministre délégué chargé des Collectivités locales, l'une à la chapelle principale et l'autre devant le monument de la communauté israélite d'Alger. Pour le ministre français, il est important de prendre en compte la “souffrance symbolique” de ses compatriotes “pieds-noirs”. “Il faut aller vers l'apaisement et se garder des mots qui blessent”, a-t-il déclaré, refusant tout commentaire sur la loi de février 2005 initiée par son parti politique et sur le gel du traité d'amitié algéro-français. Pensez-vous que la France doit s'excuser ? lui demande un confrère français. À Sarkozy de répondre par la négation, en drapant ses propos de sentiments : “Il ne faut pas ajouter d'autres humiliations.” “Je suis tout à fait d'accord avec lui”, a affirmé plus tard une journaliste française, dont la mère est originaire de Skikda. Côté algérien, des confrères ont interprété les déclarations du ministre français comme étant “la paix des braves”. À la sortie du cimetière, Sarkozy, à défaut de prendre un bain de foule, s'est prêté aux flashs des photographes, avant de monter dans le véhicule noir, en direction de la basilique de Notre-Dame-d'Afrique. Cette fois, Nicolas Sarkozy a bel et bien évité de se prêter aux questions-réponses avec les médias ! Qu'en pense notre confrère Jean-Pierre El Kabbach, le “grand ami de l'Algérie”, de cette visite de Sarkozy ? “C'est une visite d'apaisement qui vise à reconnaître ce qu'était le colonialisme, sans cacher les erreurs, les crimes et les maladresses de part et d'autre. (…). Il faut trouver une place dans la mondialisation”. Cela ne risque-t-il pas de réduire la portée prééminente du danger colonial, à l'heure du réveil des vieux démons et des (tentatives de) reconquêtes néocolonialistes ? Hafida Ameyar