Il est un peu moins de 14 heures face au tribunal de Aïn El-Turck, des centaines de personnes, les familles des 63 harragas, viennent d'apprendre le verdict terrible : 2 mois de prison ferme et 5 000 DA d'amende. Du coup, cette foule lâche sa douleur et sa colère : hurlements, cris hystériques, pleurs, invectives à l'adresse des policiers, du procureur, du juge qui sont toujours dans l'enceinte du tribunal… Au bout d'une heure, les agents de police tentent d'apaiser les femmes, les convaincant de s'en aller. Lors de l'audience, qui a débuté à 11h30, les 65 prévenus, dont le navigateur du sardinier et le marin qui ont été jugés au même titre que les 63 candidats à l'immigration clandestine, devaient répondre du chef d'inculpation “d'embarquement illicite à bord d'un navire”, selon les dispositions du code maritime. Interrogeant certains des prévenus, dont la plupart sont nés entre 1980 et 1986, le juge retracera les préparatifs de l'opération d'embarquement des 63 harragas. De leurs déclarations, il ressort clairement, qu'il y a bien un réseau, une véritable organisation mise en place par certains individus, puisque les prévenus dans leur majorité ont reconnu que ce sont des rabatteurs qui les ont contactés dans leur quartier, sur les terrasses de cafés. La somme versée pour le passage variait entre 10 et 15 millions de centimes chacun, d'autres exécutants étant chargés de collecter ces sommes. Là encore, le juge découvre que ce sont des bus qui ont chargé les harragas pour les transporter à un point de rendez-vous à Cap-Falcon. Là, des zodiacs les attendaient pour les amener vers le sardinier qui mouillait au large. La plupart des harragas n'avaient aucune idée du nombre exact qu'ils allaient être pour cette tentative de rallier clandestinement la côte espagnole. Ils prendront le départ vers minuit et navigueront jusqu'à 7 heures du matin ce 11 novembre, moment où il seront arraisonnés par des garde-côtes de Ghazaouet. À noter que l'existence d'un réseau international a été évoqué par l'un des harragas, de nationalité marocaine, devant le juge d'instruction. Ce dernier aurait fait des déclarations sur l'existence d'un réseau activant du Maroc jusqu'ici à l'ouest du pays. D'ailleurs dans ce dossier, 4 personnes sont sous mandat de dépôt pour association de malfaiteurs, il s'agit entre autres de rabatteurs, et 5 autres sont recherchés dont les 2 principaux organisateurs à savoir le propriétaire du sardinier et le commanditaire qui est identifié comme propriétaire de 2 hôtels et d'un parking. Dans cette opération, ce dernier aurait empoché pas moins de 1 milliard. Les plaidoiries des avocats de la défense, qui n'étaient pas nombreux, puisque seulement une dizaine de harragas avaient un défenseur, seront axées sur les conditions difficiles de vie des jeunes qui sans emploi cherchent à partir pour se construire un avenir meilleur. Seuls deux autres avocats se sont constitués d'office pour défendre l'ensemble des prévenus. Pour les délibérations, sentant la tension dans la salle d'audience, les agents de police, une dizaine, feront sortir toutes les familles par crainte de réactions. Ce verdict sera d'ailleurs prononcé dans une salle vide où ne restait plus que les journalistes. À l'annonce du verdict, certains jeunes s'effondrent suppliant le juge “man â oudtch!...” Un verdict sévère qui se veut dissuasif pour tous ces autres jeunes qui seront tentés d'émigrer clandestinement à l'avenir. F. BOUMEDIÈNE