Le meurtre, il y a quelques jours, du juge Bouterfa Mourad, magistrat à la cour de Annaba, découvert dans une décharge publique du côté d'Oum El-Bouaghi, a tétanisé le corps des magistrats. Selon Bachiri Sihem, une consœur de la capitale, cet assassinat a eu l'effet “d'une onde de choc”. Les circonstances, mais surtout les motivations du crime (la subtilisation de documents compromettant la mafia locale que le défunt avait en sa possession) font ressentir encore plus aux magistrats leur vulnérabilité face aux groupes de banditisme dont ils ont la mission de neutraliser. Réclamant une plus large protection sur leur lieu de travail et en dehors, ils militent tout particulièrement pour la mise en place d'un plan de sécurité à travers toutes les juridictions du pays. Les tentatives d'évasion réussies ou avortées (comme dernièrement au tribunal de Annaba), la disparition des dossiers d'instruction des bureaux des juges et les menaces qui pèsent sur eux, comme sur les personnels du greffe, sont des faits assez graves ayant fini par attirer l'attention de la chancellerie. Considérant les palais de justice comme des lieux pas très sûrs, le département de Tayeb Belaïz envisage de les doter d'un plan de sécurisation. “Il y a des policiers. Les prévenus sont escortés. Mais ce n'est pas suffisant”, observe Mme Bachiri. La juge prenait part hier aux travaux du séminaire sur les jumelages des juridictions d'appel algériennes et françaises. Cette rencontre de deux jours, qui se tient à la résidence des magistrats à Ben Aknoun, est l'occasion de faire le point sur les actions menées par les cours des deux pays en vue de coordonner leurs actions et faire bénéficier la justice algérienne de l'expérience de l'Hexagone dans le domaine judiciaire comme la formation, la gestion, la modernisation et la sécurisation des tribunaux. Sur ce dernier point, le plan de sécurisation mis en œuvre dans les juridictions françaises depuis une année environ est qualifié de modèle par la partie algérienne. En février 2006, Pascal Clément, garde des Sceaux du gouvernement de Villepin, annonçait la mobilisation de réservistes de la police et de l'administration pénitentiaire pour surveiller les palais de justice. Il révélait aussi la désignation de correspondants de la sécurité au niveau de tous les tribunaux. Ces décisions sont intervenues quatre mois après l'agression d'une greffière à Rouen. Chez nous, si les détails du plan ne sont pas encore connus, le constat élaboré par les magistrats est sans appel. Les salles d'audience, plus que tout autre endroit du tribunal, illustrent un laisser-aller évident. Mme Bachiri remarque que les box des accusés ne sont pas assez sécurisés, que l'emplacement du public n'est pas ordonné… 36 juridictions sont disséminées sur le territoire national. Dans le cadre de la réforme, des progrès ont été réalisés surtout en vue de faciliter l'accès des justiciables aux différents services. La mise en place d'un guichet unique pour le retrait du casier judiciaire en fait partie. Cependant, de nombreux tribunaux ressemblent toujours à des foires d'empoigne. En vue d'aider leurs responsables à mieux les gérer, la coopération décentralisée à travers le jumelage des cours algériennes avec des institutions étrangères de même type est perçue comme une panacée. Outre la France, des programmes de ce genre existent avec les Etats-Unis, le Canada et la Belgique. Le 16 mars 2006, une convention était signée par Tayeb Belaïz et son homologue Dominique Perben. Les jumelages concernent les cours d'Alger et de Paris, Bordeaux et Oran, Lyon et Annaba, enfin Grenoble et Constantine. M. Bruno Sturlese, chef de service des affaires européennes et internationales au ministère français de la Justice, a inscrit hier les opérations de jumelage dans le cadre “d'un partenariat d'exception”. De son côté, M. Messaoud Boufercha, secrétaire général de la chancellerie algérienne, assure que “l'échange entre magistrats facilite l'entraide judiciaire en matière civile et commerciale, pénale et en matière d'extradition”. Le représentant de M. Belaïz reconnaît que “la mise en œuvre d'accords d'entraide judiciaire rencontre parfois quelques difficultés. Cela est dû le plus souvent au fait que l'une des parties possède une connaissance approximative du système judiciaire, de la législation et des règles de procédure de l'autre partie. Il s'ensuit alors une incompréhension souvent préjudiciable à la bonne application des dispositions de ces accords”. Samia Lokmane