Avant-hier, le Président a fait un constat sans complaisance sur la régression urbanistique et civique — c'est lié, en effet — de notre société. La notion khaldounienne de “hadhara”, a, dès les premiers balbutiements de la sociologie, établi cette correspondance jusque dans l'étymologie. L'état des lieux qui n'échappe à personne, même si chacun semble tragiquement s'accommoder de la détérioration de notre milieu de vie. Avec le temps, le constat, dans ce domaine comme dans d'autres, a été dévitalisé : il n'appelle plus de réaction, ni citoyenne, ni officielle. Les architectes, bien que disposant d'un Ordre, sont dispersés dans des bureaux d'études qui s'attaquent, comme on dit dans le monde des affaires, au marché de la construction, parce qu'il est soumis à une formalité procédurière qui comporte un plan paraphé. Combien de simples dessinateurs ont vécu de la sous-traitance du cachet de bureaux d'architectes ? On peut supposer que les architectes et les urbanistes n'ont pas toujours droit au chapitre dans les choix de construction. Le maître d'ouvrage n'a pas toujours le souci environnemental. Dans son impuissance face à la dictature de “l'ordonnateur”, l'architecte renonce à ses éventuelles préoccupations esthétiques et, au mieux, fait ce qu'il peut à travers son rôle d'alibi administratif et d'appendice procédural. C'est vrai que “l'état actuel du bâti reflète notre sous-développement”. Mais, pas que le bâti : les jardins, les trottoirs, les chaussées, les lampadaires, les enseignes, les poubelles… Et pas seulement dans la conception des choses : dans leur entretien, dans notre rapport au mur et à l'arbre, dans l'usage que nous faisons du trottoir, de la place publique, dans notre manière de conduire, de marcher, de traverser, de brailler… Le Président semble dénoncer une dégradation qui a mis des années à altérer le paysage national et la société. Quand l'Etat, timoré par l'agressivité intégriste, est allé se réfugier derrière les haies bétonnées de ses institutions, la voie publique s'est retrouvée vacante. Le citoyen ne tarda pas à se barricader, à son tour, dans son pré carré domestique. La loi et la citoyenneté battent en retraite depuis une décennie et demie. La dégradation de l'environnement a été rendue possible par la démission des institutions et par le repli culturel qui pénalisent le pays. Etat, corporations et citoyens se renvoient la culpabilité de la décadence dans un discours qui, tout en dénonçant la dérive, atomise la responsabilité. Qui, alors, devrait prendre en charge “la rupture” avec cette insouciance qu'évoque le Président ? La “clarification” des rôles, envisagée par le chef de l'Etat est-elle une réponse possible, dans le contexte politique qui est le nôtre ? La “Cité Idéale” évoquée par Ibn Khaldoun régie “siyassa el-madania”, faite de liberté et de solidarité citoyenne. La “assabiya” faite de népotisme et de tribalisme est, elle, destructrice du “oumran”. Nous sommes donc bien placés pour savoir qu'il n'y a pas loin de notre construction politique à la construction de notre milieu. M. H. [email protected]