Les visites de détenus sont l'une des tâches essentielles de l'activité du Comité international de la Croix-Rouge de par le monde. C'est une activité presque centenaire, les premières visites de camps de prisonniers par les délégués du CICR ayant eu lieu au cours de l'hiver 1914-1915 lors de la Première Guerre mondiale. C'est en 1929, avec la Convention de Genève sur les prisonniers de guerre, que le CICR a reçu, pour la première fois, un mandat auprès de la communauté internationale pour agir en faveur des victimes des conflits armés. Lors d'un conflit armé international, les Conventions de Genève reconnaissent aux délégués du CICR le droit de visiter les prisonniers de guerre et les internés civils. Les empêcher d'accomplir leur mission équivaut à une violation du droit humanitaire. Lors d'un conflit armé non international, ainsi que dans les situations de violence interne, l'article 3, commun aux quatre Conventions de Genève, autorise le CICR à faire ses offres de service en vue de visiter les détenus ; de fait, nombre de gouvernements acceptent cette proposition. La privation de liberté rend les personnes vulnérables, tant vis-à-vis des autorités détentrices qu'à l'intérieur même de la prison. Le CICR vise à améliorer les conditions de détention lorsque cela est nécessaire et conformément au droit applicable. Il tente aussi de prévenir ou de faire cesser les disparitions, la torture et les mauvais traitements, ainsi que de rétablir le contact entre la personne détenue et ses proches. À cette fin, des visites sont effectuées dans les lieux de détention. Sur la base de ses constatations, le CICR entreprend des démarches confidentielles auprès des autorités et, au besoin, il fournit une assistance matérielle et/ou médicale aux personnes détenues. Lors des visites, les délégués du CICR s'entretiennent sans témoin avec les détenus. Les détenus parlent aux délégués de tout problème auquel ils sont confrontés. Tout en s'abstenant de prendre position quant aux motifs de l'arrestation des personnes privées de liberté, le CICR ne ménage aucun effort afin que chacune d'entre elles bénéficie des garanties judiciaires inscrites dans le droit humanitaire. Certains critères standard doivent être remplis afin que le CICR puisse travailler de façon satisfaisante. Les délégués doivent pouvoir voir toutes les personnes privées de liberté, avoir accès à tous les lieux où elles sont incarcérées et pouvoir s'entretenir sans témoin avec les détenus. Les délégués doivent avoir la possibilité de répéter les visites aux détenus de leur choix, et ceci aussi souvent qu'ils le jugent nécessaire. En outre, ils doivent aussi pouvoir rétablir le contact entre les personnes détenues et leur famille, ainsi que fournir une assistance matérielle et/ou médicale en fonction des besoins. Les relations du CICR avec l'Algérie sont particulières et on peut dire que sans cette nation, le CICR n'aurait peut-être pas vu le jour. En effet, c'est après une visite en Algérie que le futur fondateur du CICR, Henry Dunant, avait décidé de rencontrer l'Empereur Napoléon III. Et c'est à Solférino, à l'occasion de la bataille qui devait opposer les troupes françaises aux troupes autrichiennes (1859), qu'il se proposait de le rencontrer. Les atrocités dont il fut le témoin lors de cette bataille lui donnèrent l'idée de fonder une société caritative, le Comité de Genève qui devint, en 1864, le Comité international de la Croix-Rouge. Cette “filiation historique” se retrouve pendant la guerre de Libération nationale lors de laquelle le CICR fut le témoin privilégié de la naissance du Croissant-Rouge algérien. En 1955, conformément à son droit d'initiative, le CICR offrit ses services aux autorités françaises pour visiter les détenus algériens. Ayant obtenu leur accord, le CICR put alors visiter les lieux de détention et s'entretenir avec les détenus de son choix. En retour, le FLN permit au CICR de visiter, le 30 janvier 1958, quatre militaires français capturés à Sakhiet Sidi Youcef. De 1955 à 1962, les délégués du CICR ont effectué 490 visites de lieux de détention en Algérie et 96 visites en France où étaient internés les militants algériens. Après l'indépendance, le CICR a développé ses relations avec les autorités algériennes par des contacts réguliers qui ont abouti à la conclusion, en 1999, d'un accord avec le ministère de la Justice concernant les visites de détenus. Cet accord prévoit que les délégués puissent avoir accès aux établissements pénitentiaires dépendant du ministère de la Justice. Ils pourront s'entretenir avec les détenus de leur choix sans témoin. Après la visite du président du CICR en 2000, les autorités algériennes et le CICR sont entrés en négociation pour ajouter de nouveaux lieux de détention. Le résultat fut que depuis 2002, les délégués du CICR sont autorisés à visiter les lieux de garde à vue sous la responsabilité de la police et de la Gendarmerie nationale. Comment se passent réellement ces visites aux personnes privées de liberté en Algérie et qui sont les destinataires des rapports que rédigent les délégués du CICR après chacune de leurs visites ?Avant tout, les délégués du CICR communiquent aux autorités judiciaires le programme de leurs visites. Puis, l'étape préalable à toute visite à un établissement pénitentiaire est la rencontre du procureur général de la cour à laquelle est rattachée la prison. La seconde étape se déroule dans l'enceinte de la prison où les délégués rencontrent le directeur de l'établissement pour un premier contact. Lors de cet échange de vues, le directeur informe les délégués sur le nombre de détenus et sur les changements survenus depuis la dernière visite. Après cette première réunion, les délégués procèdent à une évaluation technique de l'ensemble des installations avec le directeur. Ce “tour du propriétaire” ne se limite pas à certaines parties choisies par le directeur ; bien au contraire, les délégués ont une liberté totale et peuvent observer toutes les installations (dortoirs, latrines, douches, cours de promenade, parloirs, cuisines, lieux de culte, infirmerie, cellules disciplinaires, etc). Après cette visite, les délégués vont à la rencontre des détenus. Dans ce cas également, les délégués du CICR disposent d'une grande latitude dans le choix des détenus, car aucun détenu ne pourra leur être imposé ni leur être interdit d'accès. Les entretiens prennent deux formes : individuels ou en groupe. Les entretiens individuels sont confidentiels et s'effectuent sans la présence de tiers. De même, les entretiens en groupe se font à l'écart des agents pénitentiaires. Ils se poursuivent avec le personnel médical, les détenus qui travaillent (par exemple, en cuisine), les femmes détenues et les mineurs. Le fond de la discussion porte sur les conditions de détention (par exemple, la propreté des salles, la nourriture, la qualité de l'accès aux soins) et sur le traitement des détenus (le régime disciplinaire et les relations avec les gardiens par exemple). On peut considérer que les entretiens avec les détenus représentent 80 % de la visite. Au terme de ces entretiens, les délégués revoient le directeur de la prison. Sur la base des informations récoltées et leurs propres observations et après analyse, les délégués lui présentent leurs constatations, conclusions et recommandations. Cette discussion est aussi l'occasion pour le directeur d'exposer le point de vue de l'administration sur ces observations. Au terme de la rencontre, les délégués émettent des recommandations formelles. Les délégués retournent alors voir le procureur général et lui font part des observations et des recommandations formulées. C'est avec cette dernière réunion que s'achève la visite proprement dite. À leur retour à la délégation, les délégués rédigent un rapport de visite qu'ils destinent au ministère de la Justice. Ce rapport est, bien entendu, confidentiel. En plus de ces procédures formelles, les délégués ont des contacts réguliers avec les autorités du ministère de la Justice. En 2005, les délégués du CICR ont effectué 26 visites dans 23 établissements pénitentiaires dépendant de 11 cours de justice. Concernant les lieux de garde à vue, les délégués ont visité 13 brigades de la Gendarmerie nationale ainsi que 18 commissariats de police.