L'illustre penseur est parti à jamais. Il a été inhumé, hier, au Carré des martyrs du cimetière d'El-Alia, dans une atmosphère marquée par la discrétion et l'humilité. À l'image de celui qui a tout donné pour son pays en gardant une grande dignité jusqu'au dernier soupir de sa vie. Ils sont venus, ils sont tous là. Nombreux pour l'accompagner à sa demeure éternelle. Des vieux et des moins vieux. Des intellectuels en majorité, mais aussi des gens qui l'ont connu, côtoyé et apprécié sa franchise et sa rectitude. En petits groupes d'affinité, les anciens compagnons n'avaient de répit pour évoquer la vie de cet homme engagé pleinement pour la bonne cause. Des ministres du dernier gouvernement Boumediene dont il a fait partie, des militaires à la retraite, des grandes figures de la Révolution et quelques membres du groupe dit des 22 ont tenu, malgré leur âge avancé, à rendre un ultime hommage à Si Mostefa. Certains ont accepté de parler de lui, une manière de témoigner sur un homme qui n'a, sans doute, pas tout dit. D'autres, émus par la circonstance, ont préféré le silence et la méditation. “Par crainte de dire des bêtises”, aurait dit l'ancien Chef du gouvernement Mouloud Hamrouche, présent à l'enterrement. Dans son oraison funèbre, l'autre ancien Chef du gouvernement, Rédha Malek, dira que l'homme a apporté à l'Algérie en tant qu'intellectuel, une contribution inestimable pour la lutte de libération. “Si Mostefa a touché à tous les secteurs. Dès qu'il a rejoint le FLN, à sa création, il s'est initié aux contacts, aux missions politiques, de la propagande, de l'information tout en élaborant la doctrine du mouvement de l'indépendance anticolonialiste”. Né le 17 mars 1917 à El-Kerma, dans la commune de Sidi Aïssa dépendant aujourd'hui de la wilaya de M'sila, Mostefa Lacheraf est issu d'une double culture arabe et française. Il a fait des études secondaires aux lycées de Ben Aknoun et d'Alger avant de partir à Paris où il s'inscrit à l'université de la Sorbonne. Très jeune, il se distingue par son esprit nationaliste en adhérant au parti du peuple algérien (PPA), puis au MTLD en tant que rédacteur dans l'Etoile Algérienne. C'est à partir de 1949 que feu Lacheraf commence à manifester son amour pour la patrie d'une manière ouverte en publiant ses premiers écrits sur l'histoire du nationalisme algérien. En octobre 1956, il fut victime, en compagnie de Ben Bella, Aït Ahmed, Boudiaf et Khider, de la première affaire de piraterie aérienne de l'histoire, lorsque l'avion dans lequel il se trouvait a été détourné par l'armée française. Emprisonné en même temps que ses quatre compagnons, il fut élargi en 1961 au moment des négociations d'Evian pour des raisons de santé. Juste avant l'Indépendance, il est nommé membre du CNRA et chargé de présenter le programme de Tripoli. Au lendemain de l'Indépendance, il entame une carrière diplomatique dans plusieurs capitales du monde. Ayant contribué efficacement à l'élaboration de la Charte nationale en 1975-1976, il est nommé ministre de l'Education nationale une année avant la mort du président Boumediene. Connu pour sa franchise et ses positions inébranlables, Mostefa Lacheraf aura été quand même très proche du pouvoir sans en avoir les privilèges. Témoignages d'anciens compagnons Rédha Malek “C'était un ami très proche. Nous avons eu l'occasion de travailler ensemble à plusieurs reprises, notamment le programme de Tripoli (1962) et dans le cadre de la Charte nationale (1975-1976). J'ai toujours apprécié ses qualité intellectuelles, sa compétence et son esprit critique extrêmement acéré, mais constructif. Un érudit qui connaît bien l'histoire de l'Algérie et surtout dans sa période coloniale. Ses livres apportent une lumière sur toute une période qui n'est pas bien connue. C'est un apport appréciable pour l'Algérie et pour l'intégration de l'Algérie dans sa personnalité historique.” Ali Haroun “Je l'ai connu quand j'étais étudiant en France. A l'époque, il était professeur au lycée Louis-le-Grand, ce qui n'était pas peu à l'époque. Plus tard, je l'ai connu plus, dès 1954 je me suis trouvé à Résistance Algérienne où il a collaboré par quelques articles. Il rédigeait des brochures et prospectus au nom du FLN. Après son incarcération suite au détournement de l'avion en 1956, je suis resté en relation avec lui alors qu'il se trouvait à l'infirmerie de la prison de Fresnes. Il a joué un rôle important tout en restant modeste. Il avait une grande capacité de régler les problèmes à l'amiable. Mostefa Lacheraf a su arrondir les angles dans la tentative d'évasion de feu Boudiaf. Il a été toute sa vie d'une modestie exemplaire. Il a été l'homme qui aura le mieux exprimé l'idée de la nationalité et du nationalisme algériens.” Salim Saâdi “Je l'ai connu durant les 20 dernières années quand le pays était en danger. Lacheraf fait partie de ceux qui ont résisté et continué à donner la ligne avec les éclairages qu'il a apportés. Nous faisons partie du groupe dit des 18 contre la torture des jeunes, etc. C'était un exemple de rigueur et de patriotisme.” Ali Farès