Sur le plan médical, les effets sont fatals. Il en résulte une diminution du quotient intellectuel et un ralentissement de la croissance. Halim (tous nos témoins portent des noms d'emprunt) a 16 ans. Il est au lycée. Depuis quelque temps, il vient en compagnie de sa maman rendre visite à Zohra Boukaoula, la psychologue de la cellule de la prévention de la délinquance juvénile de la gendarmerie. Son profil est assez symptomatique. Il retrace le parcours classique d'un garçon issu d'une famille aisée mais déchirée. Les parents en instance de divorce ne se sont pas aperçus que leur séparation faisait souffrir leur enfant. À 13 ans, il s'initie à la cigarette, une année plus tard aux joints. Très rapidement, il se lasse du cannabis et opte pour les psychotropes sous toutes leurs couleurs, el hamra, ezarga… La violence qui l'imprègne petit à petit alerte sa maman. Pour lui, il n'y a aucun doute, ses parents l'ont trop gâté. N'étant pas soumis à des restrictions, il rentre à l'heure qu'il veut à la maison et choisit ses amis à son gré. Il a avoué à Mme Boukaloua qu'il lui arrive de fumer au lycée sans que les profs ou les surveillants s'en rendent compte. Lors de leur dernier rendez-vous, il a juré à la psy qu'il n'a pas touché aux fameux comprimés depuis trois jours. “Mais rien ne dit qu'il ne recommencera pas”, assène la praticienne sceptique. En guise d'aide, elle a proposé à Halim une cure de désintoxication. Kamel a pratiquement la même histoire. Sauf que dans sa descente aux enfers, il a brûlé des étapes. Héroïnoman à 17 ans, il s'est réfugié dans la drogue par vengeance. Ses parents sont les cibles de cette douloureuse vendetta. Encore une autre affaire de divorce ! Pour se déculpabiliser, sa maman le choie. Elle lui donne de l'argent sans compter. Les liasses qu'il reçoit atterrissent directement dans les poches des clandestins sud-africains. Naïla est aujourd'hui à l'université. Les joints, elle en fume depuis qu'elle était collégienne. “C'est venu comme ça. Je fréquentais une fille qui les consommait comme des caramels. J'ai essayé par curiosité. Et puis, c'était gratuit”, confie-elle désinvolte. Se défendant d'être dépendante de la drogue, elle assure qu'il lui arrive de tirer une taffe quand son moral n'est pas au beau fixe. Naïla habite une cité populaire. Ses frères déscolarisés l'envient. Ils la harcèlent. En un mot, ils lui mènent la vie dure. Hafid réside également dans une HLM. Il occupe avec sa nombreuse famille un “F” miniscule. Le soir, en rentrant pour dormir, il doit enjamber les corps de ses frères et sœurs. Afin de ne pas les piétiner, il utilise une torche. Hafid retarde au maximum ce moment en se réfugiant dans un coin de la cité pour fumer un joint avec les copains, histoire de se sentir bien, d'être libre. À l'occasion, pour se faire un peu d'argent de poche, il distribue les joints à ses camarades d'école. Les résultats sont désastreux. S'il est des facteurs de recours à la drogue, l'échec scolaire est une conséquence. Les élèves deviennent des loques, des ombres. À ce propos, le Dr Belhandouz du centre de sevrage de l'Association nationale de sauvegarde de la jeunesse dresse le profil d'adolescents en perdition, qui se tuent d'une mort lente. “Dans 40 à 60% des cas, les capacités à apprendre, soit le quotient intellectuel, diminuent”, avertit-il. La paranoïa et la schizophrénie sont le lot des plus atteints. Sur le plan physique, la consommation de la drogue porte un coup fatal à la croissance. S'y ajoutent toutes les pathologies qui surviendront à l'âge adulte comme le cancer, les cardiopathies, l'impuissance sexuelle… “On mourra tous un jour”, réplique Salem sur un ton détaché. Le garçon n'a aucune honte à avouer qu'il fume un joint de temps en temps. “Comme tout le monde”, dit-il, sans plus de précisions. En revanche, il est fier de révéler qu'aucun de ses professeurs n'a réussi à le débusquer. “Généralement, ils vont dans les toilettes. Quand on y entre, il y a une épaisse fumée qui se dégage”, rapportent deux copains de classe du lycée Frantz-Fanon. Néanmoins, ils assurent que dans leur établissement, les adeptes de cannabis ne sont pas légion. “Allez plutôt voir à Marengo (lycée limitrophe), il y a toujours des dealers. Mais faites attention, ils sont dangereux !” proposent-ils. Sur place, des jeunes à l'allure très suspecte guettent, en effet, les lycéens à la sortie des classes. Interpellés, ils prétendent qu'ils sont du quartier. “Et puis, de quoi vous-mêlez-vous”, tonne l'un en bombant le torse. Outre leur petit commerce, les dealers n'hésitent pas à s'en prendre aux élèves. “L'année dernière, quelqu'un m'a agressé. Il m'a volé mon portable et m'a donné un coup de couteau à la cuisse”, raconte un des deux amis du lycée Frantz-Fanon. L'affaire est restée sans suite. S. L.