Nommé depuis trois mois à la tête de cette institution, l'ancien magistrat a comme priorité de cerner l'ampleur du trafic et de la consommation de stupéfiants, notamment dans les établissements scolaires. Liberté : L'une des missions de l'Office est d'élaborer des rapports sur l'ampleur du fléau de la drogue. Quelle est à ce titre son ampleur en milieu scolaire ? Abdelmalek Sayeh : La consommation de la drogue est répandue à travers les trois cycles de l'enseignement et surtout dans les collèges et les lycées. Au niveau des écoles primaires, c'est encore très timide. À partir de 12-14 ans, les enfants en phase de puberté cherchent à découvrir et à goûter ce que proposent les copains, ne serait-ce qu'une bouffée de cannabis. Cependant, nous n'avons pas encore de chiffres exacts. Nous ne connaissons pas également la fréquence de cet usage, s'il est occasionnel ou quotidien. Dire que le phénomène est très répandu, ce n'est pas vrai. Certaines associations se substituent à l'Office et donnent des chiffres alarmants. Quant on annonce que 45% des élèves se droguent, sur 7 millions d'enfants scolarisés, cela représente plus de 3 millions. Ce qui est une aberration. Selon les estimations les plus plausibles, le taux se situe à environ 4%. Ce chiffre est déjà très alarmant, car il représente 280 000 élèves. Comment estimer de manière correcte et objective l'emprise des stupéfiants sur les élèves ? Nous avons signé, au début du mois de janvier, une convention avec le Centre national des études et d'analyses pour la population et le développement (Ceneap) pour l'élaboration d'une enquête épidémiologique inédite à travers le territoire national, dans les établissements scolaires, dans les familles, en milieu urbain et rural, sur la consommation des stupéfiants. Toutes les catégories d'âge seront concernées ainsi que les deux sexes. Une commission est associée à cette enquête. Elle représente divers ministères comme ceux de la Justice, de l'Intérieur, de l'Education nationale ainsi que de la Jeunesse et des Sports. Du 12 au 14 février prochain, une délégation composée de membres de l'Office et du Ceneap va effectuer une visite d'étude auprès de la mission interministérielle française chargée de la lutte contre la drogue qui elle-même travaille avec le groupe Pompidou (parrainé par l'Union européenne et investi dans la lutte contre la drogue). Cette mission nous guidera dans notre démarche. Dans une année, nous aurons les résultats de l'enquête. Les conclusions nous permettront de connaître l'identité des consommateurs, les catégories sociales qui sont touchées, le type de drogue consommée, la fréquence de cet usage… Nous savons, par exemple, que les psychotropes sont beaucoup plus utilisées par les jeunes filles, surtout en milieu universitaire. Sur le plan géographique, l'usage des psychotropes est répandu à l'est du pays. Alors qu'à l'ouest et au centre, le cannabis a une plus grande emprise. Outre l'enquête, nous projetons de réaliser des spots de prévention en collaboration avec la télévision et la radio. Nous entendons lancer également un numéro vert pour permettre aux gens, de manière anonyme, de dénoncer les dealers et les consommateurs. Ce genre d'informations nous permettra de remonter les filières et de les neutraliser, aussi bien celles qui se livrent au trafic à l'intérieur du territoire que celles qui l'utilisent comme zone de transit. Les appels nous aideront aussi à prendre en charge les usagers en les orientant vers les services appropriés. À votre avis, quand la drogue a-t-elle fait son entrée dans les établissements scolaires ? Quand j'étais étudiant dans les années 1960 et 1970, nous savions que la drogue existait timidement dans les universités. Mais après la décennie noire, le fléau a pris une ampleur très importante. Les jeunes vivent dans le désarroi et se réfugient dans la drogue. Jusqu'aux années 1980, l'Algérie était un pays de transit. Maintenant que l'Europe est parvenue à instaurer un contrôle plus rigoureux de ses frontières, les chefs des réseaux, y compris le cartel colombien (spécialisé dans le trafic de cocaïne), se sont rabattus sur notre pays pour écouler leurs marchandises. Ils y ont trouvé des relais. Aujourd'hui, le trafic de drogues est devenu un créneau juteux. Le petit jeune qui s'adonne à la drogue devient dealer. Il se procure des quantités de plus en plus importantes. Une partie est destinée à sa consommation personnelle. Une autre à la vente. Pensez-vous qu'il y a des réseaux qui alimentent exclusivement les écoles ? La vente se fait dans les quartiers. Les dealers sont des amis, des voisins… Quand la dépendance s'installe, les élèves n'hésitent pas à devenir dealers pour assurer leur propre approvisionnement. Généralement, ces jeunes finissent par abandonner leurs études et entrent dans le trafic à grande échelle. S. L