Le secrétaire général de cette organisation demande à l'ex-puissance coloniale des excuses et réparation pour les victimes. Saïd Abadou n'exclut pas le recours à des tribunaux internationaux dans le cadre d'un dépôt de plainte contre la France pour les préjudices graves entraînés par ses essais nucléaires dans le sud du pays. Hier, en marge du colloque international de deux jours organisé à Alger autour des conséquences de ces expériences, le secrétaire général de l'Organisation nationale des moudjahidine annonçait son intention d'ester en justice l'ex-puissance coloniale. “Nous le ferons tôt ou tard. Nous suivrons la procédure en vigueur”, a-t-il affirmé sans plus de précisions. Auparavant, l'Hexagone a obligation de demander pardon. “Nous demandons des excuses et réparation pour les victimes”, soutient M. Abadou. Par ailleurs, l'ouverture des archives militaires figure parmi ses revendications. “La France ne nous donne aucune information”, dénonce le premier responsable de l'ONM. La démission des autorités françaises et leur refus d'ouvrir le dossier des essais ont été largement commentés par les participants au colloque tenu à l'initiative du ministère des Moudjahidine et du Centre national d'études et de recherche sur le mouvement national et la révolution du 1er Novembre 1954. Le discours de Mohamed-Cherif Abbès a inauguré le chapitre des remontrances. En l'absence du ministre retenu en Conseil des ministres, son laïus a été lu par M. Brahim Abbas, directeur du patrimoine historique. “La France doit prendre ses responsabilités”, exige le représentant de l'Exécutif. Selon lui, tous les rapports internationaux, y compris l'expertise de l'Agence internationale de l'énergie atomique datant de 1995, appellent l'Etat français à prendre en charge les dégâts entraînés par ses essais, aussi bien au plan sanitaire qu'environnemental. Comment qualifier les essais, dans quelle catégorie de forfaits les situer ? Abdelamadjid Chikhi, directeur général des archives nationales et juriste les qualifie à la fois de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité. Ses propos sont tirés d'un court-métrage projeté à l'ouverture du séminaire. Comme lui, beaucoup d'invités ont livré quelques-unes de leurs interprétations dans ce film. Pour sa part, la rencontre est un mélange d'avis d'experts et de témoignages. Des spécialistes du génie nucléaire sont venus des Etats-Unis, du Japon et de l'Australie. Le choix n'étant pas fortuit, les invités ont dévoilé l'expérience de leur pays avec la bombe et les démarches engagées en vue d'endiguer ses effets. Dans le cas de l'Algérie, la France bénéficie encore d'impunité. Pourtant, ce qu'elle a fait dépasse tout entendement. Des prisonniers algériens ont été utilisés comme des cobayes lors des essais, et ce, en totale violation de la convention de Genève sur la protection des prisonniers de guerre. En mars 1962 à In Ichker, dans le Hoggar, 2 000 personnes ont assisté à un essai souterrain baptisé Beryl qui fut un échec. Le ministre français de l'époque, en charge de la Recherche scientifique, faisait partie des présents. En 1985, il décédait d'un cancer contracté suite à la fuite de matières radioactives. Officiellement, l'armée coloniale reconnaît avoir procédé à 17 expériences. 4 sont aériennes et 13 sont souterraines. Selon les experts, les dangers des implosions sont latents, comme les bombes à retardement ! “Nous ne connaissons pas l'étendue de la catastrophe”, assène le Dr Mansouri, chercheur en génie nucléaire. À ce stade, l'ouverture des archives militaires est impérative. “Le prétexte du secret défense ne tient plus la route”, martèle Nic Maclellan, expert du Nuclear Free and Independant Pacific Australia. Son pays a été le théâtre de la mise en œuvre du programme nucléaire britannique. Mais sous la pression des lobbies et des organisations des victimes, le Royaume-Uni a dû coopérer. Dans sa résolution de 1995, l'assemblée générale de l'AIEA enjoignait les Etats de prendre des mesures appropriées afin d'endiguer les effets néfastes de leurs essais sur la santé, la sécurité et l'environnement. Or aujourd'hui encore, des gens continuent à mourir dans l'anonymat à Reggane et plus au sud dans le Hoggar. Souvent, ils ont eu à manipuler des objets trouvés dans les zones radioactives. En Polynésie, les victimes ont réussi à obtenir des dommages à l'issue d'une longue bataille juridique. Pour M. Chikhi, il ne saurait y avoir de discrimination. “Les Algériens doivent obtenir les mêmes droits.” Samia Lokmane