Les pouvoirs publics semblent décidés à limiter la mobilité des cadres du secteur public vers le secteur privé national ou étranger. Le Conseil des ministres, qui s'est réuni mardi passé, a examiné et approuvé un projet d'ordonnance “relatif aux incompatibilités et obligations attachées à certains emplois et fonctions”. Le texte explique le communiqué du conseil, “vise à mettre en place un dispositif adéquat à même de prémunir l'Etat contre une sérieuse érosion de ses ressources en matière d'encadrement et protéger, par voie de conséquence, ses intérêts et ceux de ses démembrements”. Le redéploiement des cadres supérieurs du secteur public vers le secteur privé national ou étranger, en raison des conditions socioprofessionnelles attrayantes qui leur sont offertes, a pour conséquence de priver le secteur public de son potentiel d'encadrement, alors même que ce dernier a consacré des ressources et des investissements importants pour sa formation. Le Conseil des ministres parle de “situation préjudiciable pour l'Etat et ses démembrements” et même “de dérives”. Ces dernières années, à la faveur de l'ouverture économique de notre pays, le nombre de hauts fonctionnaires et cadres d'entreprises ayant rejoint le secteur privé national et étranger a pris l'allure d'une saignée, notamment dans les secteurs des hydrocarbures, des banques et des télécommunications. Ce mouvement semble s'accélérer, du moins depuis quelques années. Dans le domaine des hydrocarbures, non seulement la Sonatrach a perdu des cadres de valeur au profit de ses associés, mais beaucoup d'autres ont préféré tenter leur chance au Moyen-Orient. L'Union générale des travailleurs algériens (UGTA) avait estimé à 2 000 le nombre de cadres algériens ayant quitté l'entreprise au cours de ces dernières années pour rejoindre des sociétés pétrolières étrangères installées en Algérie ou dans les pays du Golfe. Une fuite des compétences qui hypothèque jusqu'à l'avenir de l'économie nationale. Pourquoi de plus en plus de hauts cadres de l'Etat se laissent-ils tenter par le privé ? La différence de rémunération entre public et privé est un des motifs de départ, mais pas le seul. L'inadéquation de l'environnement professionnel, la non-reconnaissance de leur statut socioprofessionnel et de leurs compétences, les difficultés matérielles constituent autant de raisons objectives. L'Etat n'a pas un discours politique clair, ni sur ce qu'il attend de son encadrement supérieur pour l'avenir, ni sur la place qu'il lui réserve. D'où l'urgence à mettre en place une stratégie globale et efficace pour offrir aux cadres de meilleures perspectives professionnelles. L'Algérie doit être en mesure d'offrir des avantages concrets et des conditions de travail décentes à ses élites souvent forcées de s'expatrier, séduites par de meilleures offres proposées par les pays occidentaux et par des entreprises étrangères en Algérie. Le président de la République estime que “dans cette phase de reconstruction et de confortement des institutions de l'Etat et de ses infrastructures, il est attendu des personnels d'encadrement du pays en général, et ceux du secteur public, en particulier, une mobilisation constante pour relever le défi de la construction du pays à la mesure des sacrifices consentis par leurs aînés pour le libérer”. L'exercice des emplois et fonctions supérieurs au service de l'Etat et de ses démembrements, précise le chef de l'Etat, “impose à leur titulaire un devoir de loyauté que les contingences matérielles aussi importantes soient-elles ne devraient pas altérer”. Le champ d'application du nouveau dispositif couvre l'ensemble du secteur public (institutions et administrations publiques, établissements publics, entreprises publiques économiques y compris les sociétés mixtes) ainsi que les autorités de contrôle et de régulation ou organismes assimilés. Les mesures prévues s'appliquent aux titulaires d'emplois et fonctions concernés pendant et après la cessation de leurs fonctions. Le texte évoque l'interdiction de détention directe ou indirecte d'intérêts auprès d'entreprises ou organismes dont ils assurent un contrôle, une surveillance ou avec lesquels ils ont conclu un marché ou émis un avis, l'interdiction pendant 2 années après la fin de leur mission, d'exercer une activité de consultation ou une activité professionnelle de quelque nature que ce soit et enfin l'obligation, au terme de 2 ans, et ce durant 3 autres années, de faire déclaration de toute activité professionnelle, de consultation ou de détention d'intérêts auprès desdits organismes ou entreprises. La transgression des incompatibilités ou le manquement aux obligations prévues par le projet d'ordonnance exposent leurs auteurs à des sanctions pénales. Meziane Rabhi