La discrétion la plus totale a entouré le déplacement en Algérie de Clint Williamson, ambassadeur itinérant américain. Arrivé vendredi en fin de matinée, l'envoyé spécial de la secrétaire d'Etat américaine, Condoleezza Rice, a été reçu hier matin par Mohamed Bedjaoui, ministre d'Etat, ministre des Affaires étrangères. Clint Williamson a remis une lettre de Condoleezza Rice à M. Bedjaoui. Au cours de l'entretien, le chef de la diplomatie algérienne a rappelé “les exigences de la lutte contre le terrorisme et a fait état des sacrifices de l'Algérie dans sa lutte pionnière contre ce fléau. Il a également communiqué à Clint Williamson “un message verbal sur le Sahara occidental à Mme Rice”. Il faut savoir que la visite de Williamson, procureur fédéral de carrière, et qui sert d'ambassadeur itinérant pour des questions de crimes de guerre, un poste auquel il a été confirmé par le Sénat le 29 juin 2006, était déjà prévue pour le début de l'année en cours. Ce déplacement avait été donc reporté une première fois. Williamson, connu pour être “Monsieur Guantanamo” au sein du département d'Etat, arrive en Algérie dans un contexte très particulier. Deux importants dossiers dominent actuellement les relations algéro-américaines. Le premier étant les répercussions des attentats du 11 avril à Alger. En effet, la visite intervient une semaine après les attentats perpétrés contre le siège du Palais du gouvernement et la réaction maladroite des Américains. Dans ce sens, il serait logique que la lettre de Condoleezza Rice puisse faire référence au travel warning de l'ambassade des Etats-Unis à Alger qui a considérablement irrité les autorités algériennes au point d'aboutir à une mini-crise diplomatique à travers laquelle le chargé d'affaires de l'ambassade US, Thomas Daughton, a été convoqué au MAE, et ce, en l'absence de l'ambassadeur, Robert S. Ford. Le second volet étant bien entendu le dossier du Sahara occidental. Il faut savoir que depuis la sortie de William Burns, l'on s'interroge à Alger sur la position réelle du département d'Etat US incarnée par Condoleezza Rice qui, jusqu'à récemment, était considérée à Alger comme “impartiale” sur ce dossier, “Condi” n'étant pas publiquement favorable au Maroc, mais n'encourageant pas pour autant le processus de décolonisation engagé sous l'égide des Nations unies. Plusieurs indicateurs ont fait craindre aux diplomates algériens que les Américains aient choisi le projet d'autonomie marocain. Compte tenu des inquiétudes algériennes sur ce dossier, la rencontre d'hier entre Bedjaoui et Clint Williamson pouvait contribuer à recadrer les relations stratégiques algéro-américaines. Du coup, la visite de Williamson paraît dans ce contexte diplomatique comme assez importante. Elle tombe à pic dans une atmosphère assez tendue entre Algériens et Américains. Le MEPI et les réticences du département d'Etat Les observateurs considèrent aujourd'hui que la tension entre Alger et Washington est aussi induite par un déficit de confiance mutuelle qui s'illustre également par la baisse drastique des programmes d'échanges et de formations. Ce n'est pas tant la mauvaise volonté des Américains qui proposent des programmes de formations aux cadres algériens aussi bien de ceux de l'énergie, de l'éducation, de la défense et des programmes destinés aux parlementaires algériens. Ce déficit de confiance a été répercuté par le fait que les Algériens sont de moins en moins enclins à accepter les programmes US. Pour la Défense nationale, on évoque pour l'année 2006 l'envoi en formation d'une trentaine d'officiers algériens aux Etats-Unis alors que pour l'année 2007 leur nombre ne dépasse pas 5. Ce déficit de confiance est posé également dans l'insistance des responsables US sur certains dossiers qui sont autant de points de désaccord. On citera dans ce registre trois dossiers-clés : l'avenir du MEPI (Middle East Partenairship Initiative) l'OMC et l'Open Sky. Pour le MEPI, Washington n'arrive pas à admettre que les Algériens aient une autonomie de décision après le refus catégorique du président Bouteflika d'adhérer au GMO, pilier de la stratégie de la diplomatie américaine en faveur des pays arabes et du Moyen-Orient. S'agissant de l'OMC, les remarques US, qui pour certains sont négatives, qui pour d'autres sont rationnelles, mettent à mal le discours officiel américain sur l'accompagnement de l'entrée de l'Algérie à l'Organisation mondiale du commerce. On citera à titre d'exemple le point sur l'audiovisuel qui continue d'empoisonner la perception US de notre pays. Quant à l'Open Sky, ouverture du ciel à la concurrence internationale, il y a lieu de relever que le dossier traîne en longueur malgré les discours de bonnes intentions de part et d'autre. Après une embellie qui a caractérisé les relations bilatérales, les observateurs pensent aujourd'hui que le point de départ des tensions a tout de même été le dossier des hydrocarbures. Les amendements de la loi 05-07 ont été perçus comme un coup dur par les compagnies pétrolières américaines et forcément mal accueillis par l'administration Bush qui n'a pas encaissé cette “volte-face”. Reste que les relations algéro-américaines ne se sont pas dégradées au point de non-retour à la norme, mais ont été sérieusement écorchées. Comme pour le dossier de l'énergie et du pétrole, l'esprit souverainiste algérien a également prévalu dans le refus d'installer des bases militaires US sur le territoire national. Et il semblerait que Rice ait interprété ce niet comme un désaveux personnel ! En tout cas, cette position aurait ajouté à sa méfiance à l'égard des Algériens et notamment à l'égard d'un Mohamed Bedjaoui qui est un poids lourd de la diplomatie internationale. C'est pour cela que la rencontre Williamson-Bedjaoui qui pourrait paraître anodine en d'autres circonstances est en fait une rencontre-clé pour remettre les contentieux à plat et calmer les esprits vifs. Salim Tamani