Ils étaient 3 artificiers de la Sûreté nationale en 1982. 25 ans plus tard, leur nombre avoisine les 300 éléments, parmi lesquels on compte 5 femmes. Ils sont tous volontaires à s'investir dans cette brigade d'intervention, aguerrie aux techniques de neutralisation des engins explosifs, mis au point par les terroristes. Au bureau central du service pyrotechnique de la Sûreté nationale à El Hamiz, le commissaire principal Tayeb T., avenant et débonnaire, invite ses proches collaborateurs — le commissaire Madjid B. et l'officier instructeur Zohir R. — à nous livrer, sans retenue, les secrets de leur métier. Une activité professionnelle de laquelle tous tirent une certaine fierté, même si elle est classée au top des métiers à haut risque. L'officier Zohir l'a vérifié aux dépens de son intégrité physique. En 1996, alors qu'il inspectait une villa abandonnée par les terroristes à Bouinan, il perd une jambe dans une soudaine explosion. Par pudeur ou simplement l'envie de ne plus évoquer un souvenir douloureux, il ne semblait pas particulièrement enclin à faire le récit de l'événement. C'est finalement sur insistance de ses collègues qu'il consent à raconter qu'il s'est pris le pied dans un fil de pêche, relié à une bombe artisanale dissimulée dans un placard de la cuisine de la villa. “Dans le noir, je ne l'avais pas vu. La bombe a aussitôt éclaté.” Cet accident ne l'a pas dissuadé de poursuivre sa carrière dans la même spécialité. Outre les interventions sur le terrain, il participe à la formation des nouvelles recrues dans l'équipe. Une à deux promotions, de vingt stagiaires chacune, sortent, chaque année, du Centre d'El Hamiz. Parfois davantage ou moins. “Les cycles de formation n'ont pas de périodes précises. Ils sont programmés en fonction des besoins exprimés par les sûretés urbaines des wilayas”, explique le commissaire principal. “L'organe central des artificiers dispose d'un schéma sur le personnel et les groupes armés. Sur la base de ces données, nous lançons les formations d'aides-artificiers. Ces derniers auront le statut d'artificiers après un stage à l'étranger”, précise le commissaire Madjid. Les candidats, retenus pour ces formations, doivent justifier d'au moins 4 années d'exercice dans les rangs de la Police nationale et d'un niveau d'instruction supérieur ou équivalent à la 3e année du cycle secondaire, dans les filières scientifiques ou techniques de préférence. Il faut qu'ils soient surtout volontaires pour pratiquer une activité, qui exige de la maîtrise de soi, du caractère et de la persévérance, une grande capacité d'analyse et de déduction et une disposition à ne pas prendre la poudre d'escampette devant le danger. “Les candidats subissent systématiquement un test psychologique”, indique notre interlocuteur. “Le plus gros nombre des artificiers ont le grade d'AOP (agent de l'ordre public, ndlr). Mais nous avons beaucoup d'officiers aussi”, ajoute-t-il. En 1982, date à laquelle le commissaire principal Tayeb T. a rejoint le corps des artificiers, ces derniers se comptaient sur les doigts d'une seule main. “Nous étions deux ou trois à être formés au désamorçage des bombes. Nous avons bien été utiles au début du terrorisme”, se rappelle-t-il. Depuis, conjoncture sécuritaire oblige, l'équipe a été considérablement étoffée. Quelque 257 artificiers sont opérationnels à l'échelle nationale. La dernière promotion est sortie il y a à peine deux mois. “En 1994, nous étions beaucoup moins nombreux que les terroristes. La situation s'est inversée en 2007”, note le commissaire Madjid. Les terroristes utilisent toutes sortes d'objets pour fabriquer des explosifs Au-delà de l'équilibre du nombre, les démineurs de la Sûreté nationale sont parvenus à déjouer des dizaines d'attentats, en s'engageant, certes, corps et âme dans la voie professionnelle qu'ils ont choisie, mais aussi en s'appliquant à étudier minutieusement les méthodes de fabrication des engins explosifs par les groupes islamistes armés. Des méthodes, en somme assez rudimentaires dans la majorité des cas, bien que le produit final soit susceptible de faire des dégâts incommensurables. Les artificiers récupèrent les engins neutralisés. Quelques modèles sont exposés dans le hall des locaux de la brigade pyrotechnique. Des pinces à linge cloutées de part et d'autre de punaises, un morceau de bois sur lequel sont plantés, suivant un schéma précis, un minuteur d'appareils électroménager et des piles dans un enchevêtrement de fils électriques, des boîtes de conserve remplies de souffre, des seringues, des bouts de tuyauterie, des bouteilles de désodorisant, des bonbonnes de gaz… Le moindre objet de la vie domestique est utilisé, par les terroristes, pour réaliser leurs macabres projets, en se référant aux orientations d'un formateur, lui-même formé en Afghanistan ou ailleurs, ou simplement en suivant les indications disponibles sur certains sites Web. “Les terroristes mettent parfois 48 heures pour apprendre à fabriquer une bombe. Ils ont une imagination débordante pour peu qu'ils assimilent les principes de base”, nous apprend-on. Leur dernière trouvaille est le piégeage des téléphones portables. “C'est la méthode la plus utilisée ces temps-ci”, nous dit-on encore. Les artificiers s'échinent, de leur côté, à comprendre le mécanisme de ces engins et à apprendre à les désactiver. S'adapter aux nouvelles techniques semble être le challenge de la Police nationale. “Nous simulons la fabrication d'une bombe selon les modalités constatées, puis nous l'enseignons aux artificiers. À chaque fois que les terroristes changent ou améliorent leurs techniques, nous nous y adaptons”, affirment nos interlocuteurs. La neutralisation d'un explosif ne relève pas du tout du jeu d'enfant, notamment quand les groupes armés usent de moyens plus sophistiqués et de matériaux hautement plus nuisibles, comme le TNT. “Nous ne savons pas comment ils se le procurent aujourd'hui. Peut-être par les canaux de la contrebande”, déclarent Madjid et Zohir, en nous montrant un spécimen. Au début de la décennie noire, de grandes quantités de TNT étaient volées dans les carrières. L'Etat a néanmoins strictement réglementé l'usage de cet explosif pour les excavations. “Les ingénieurs commandent la charge de TNT qui leur est nécessaire. Cette dernière est acheminée par des gendarmes qui supervisent la totalité de l'opération”, rapporte l'officier Zohir. Un matériel de pointe régulièrement renouvelé par la DGSN Pour assurer plus efficacement la mission qui leur est assignée, l'équipe des artificiers dispose d'un matériel de pointe, régulièrement renouvelé par la Direction générale de la Sûreté nationale. Les modèles les plus récents ont été achetés en 1997. Nos hôte nous exposent la combinaison de protection des artificiers (normalement, elle est obligatoirement portée avant d'amorcer la moindre opération de neutralisation d'une bombe et même de l'inspection d'un colis ou d'un véhicule suspect). “Nous avons acquis des tenues de troisième génération – la 7B — dotée d'un système de refroidissement et de ventilation.” La combinaison pèse environ 68 kilogrammes, “proportionnellement répartis”, rassure-t-on. “Les anciens modèles des canons à eau avaient l'inconvénient d'être instables. Ils se projettent en l'air après usage”, indique le commissaire Madjid. L'appareil d'inspection à distance par rayon X s'est avéré également bien utile dans la perspective d'exposer le moins possible l'agent de la police au risque d'une explosion. “Cela nous permet de bien positionner le canon à eau en vue de pulvériser l'objet piégé. L'artificier s'approche de cet objet juste quelques secondes. Le danger est donc moins grand”, explique-t-il. 14 artificiers ont perdu la vie, en service commandé, durant les années de braise. De nombreux d'autres ont gardé des séquelles irréversibles. Le souci de la DGSN est de mettre, autant que possible, ses éléments à l'abri des accidents du travail, tout en les engageant encore et encore dans la lutte antiterroriste. Des milliers de vies de citoyens ont été épargnées parce que les artificiers ont réussi à désamorcer, à temps, les engins de la mort semés par les groupes armés. On parle d'un millier de bombes neutralisées en dix ans. Les statistiques demeurent toutefois floues, tant que les sources officielles s'abstiennent d'en fournir à l'opinion publique. S. H.