La moisson du parti pour ces législatives, les quatrièmes depuis “l'ouverture démocratique”, a été généreuse : 26 sièges, soit cinq de plus que l'ancienne législature. Alors qu'elle s'apprêtait à rejoindre son bureau, situé au 1er étage du siège du parti, une nouvelle lui parvient et interpelle aussitôt les rares journalistes qui étaient encore présents sur les lieux : “On vient de m'annoncer que le PT cartonne ici à Alger.” La voix enrouée, les yeux quelque peu cernés par la fatigue, Louisa Hanoune, responsable du Parti des travailleurs, esquissait un large sourire de satisfaction ce jeudi aux alentours de 20 heures, donc au moment des opérations de dépouillement du scrutin, au siège de son parti à Belfort, dans la daïra d'El-Harrach (banlieue est d'Alger). Elle n'avait pas tout à fait tort. Son optimisme s'est confirmé hier par la voix de Nouredine Yazid Zerhouni — Si Yazid comme l'appelait le défunt M'hamed Yazid —, ministre d'Etat, ministre de l'Intérieur et des Collectivités locales. La moisson du parti pour ces législatives, les quatrièmes depuis “l'ouverture démocratique”, a été généreuse : 26 sièges, soit cinq de plus que l'ancienne législature. Un chiffre qui confirme la bonne santé politique du parti. Mieux, une certaine régularité et une certaine progression à faire rougir de jalousie tous les partis trotskistes de par le monde. De surcroît lorsqu'on évolue dans un pays musulman ! En dépit de quelques remous qui ont affecté le parti ces dernières années, notamment ce qui est convenu de qualifier de syndrome du “nomadisme politique”, ces va-et-vient désormais rituels des militants entre diverses formations politiques, le PT a réussi à maintenir une certaine cohésion. La constance des positions du parti en faveur des travailleurs, le rejet de la loi sur les hydrocarbures, le charisme de sa première responsable, une gestion des affaires de la maison de “main de fer”, une présence quasi permanente dans les médias ont probablement contribué pour une large mesure dans le succès du parti. Pourtant peu avant l'annonce de la tendance de l'opération de dépouillement, au cours d'un point de presse improvisé en fin d'après-midi, l'heure n'était pas à la poésie pour Mme Hanoune. Elle était à l'inquiétude. Non point que les échos qui parvenaient de plusieurs endroits du pays faisaient état d'un faible taux de participation, mais en raison de cette fameuse lettre adressée au chef de l'Etat, signée par plusieurs partis dénonçant “une fraude massive”. Même le principal responsable de la Commission de surveillance des élections était de la partie avant qu'il ne revienne en fin de journée sur ses propos. “Cette lettre a été adressée aux médias et à l'APS avant le président de la République. Elle a été faite en l'absence du représentant du FLN”, s'est indignée Mme Hanoune dont le parti a refusé de signer le document. “On l'a refusé car cette lettre est un tissu de contrevérités ; pour nous les dépassements sont localisés et il n'y a pas lieu de parler d'une orientation générale ou d'une tendance nationale”. En guise d'arguments, elle évoque certains endroits où des dépassements ont été constatés, comme par exemple à Rouiba où l'on a découvert une urne contenant une centaine de bulletins du RND et du FLN, à Djebahia dans la wilaya de Bouira, où le maire local “armé” d'obédience RND a “fait des siennes”, à Sétif où dans une commune on a voté “à la place des électeurs”, ou encore à Sidi-Khaled, à Biskra, où le maire local appelait à l'aide d'un porte-voix à voter en faveur d'une liste d'indépendants. “Ce sont des incidents localisés dont certains sont l'œuvre de personnes et d'autres ont un rapport aux problèmes internes des partis”, a-t-elle expliqué. Selon elle, au moins cinq partis sont responsables de dépassements. “C'est une opération politique ; c'est grave !” Les motivations de cette lettre sont donc à rechercher ailleurs, à ses yeux. “C'est une opération politique et c'est grave ! Je ne défends pas Belkhadem, mais elle est dirigée contre le FLN”, estime-t-elle non sans s'interroger : “Que cherche-t-on ?” Une interrogation, certes, mais suggérant tout de même l'existence d'une similitude avec les élections avortées de 1991. “La lettre s'adresse à d'autres centres de décision, il y a des calculs politiques. C'est une démarche dangereuse, certains partis signataires sont conscients, d'autres non. On cherche l'annulation des élections et la vacance du pouvoir”, dit-elle ajoutant confusément : “On sait qui tire les ficelles, ce sont ceux qui sont favorables à une intervention étrangère.” Auparavant, elle avait critiqué l'ambassade des USA qui supervisait, à ses yeux, les élections. Interrogée, par ailleurs, sur les raisons du taux élevé d'abstention, Louisa Hanoune a estimé que “c'est une sanction, une défiance, pour la politique adoptée”. “On a sanctionné ceux qui gouvernent”, soutient-elle. “Les attentats ont quelque peu dissuadé les électeurs, mais pas l'appel d'al-Qaïda ou de partis au boycott. C'est une abstention, car les gens sont fatigués ; ils ne sont pas suffisamment rassurés ; en plus, il n'y a pas de garantie comme par exemple pour les travailleurs dont les salaires sont restés impayés” d'autant, poursuit-elle, que “cette fois-ci l'administration a été instruite pour être neutre”. Elle ne demande rien de plus qu'un “débat” et qu'on tire “les leçons” ! Au cours de la journée, l'ambiance était à la limite de la morosité au siège du parti. Mais aussi à la sérénité. Rien n'indiquait, en effet, qu'on était dans un jour de scrutin. Il fallait qu'on apprenne le résultat de l'Entente de Sétif en Coupe arabe pour qu'on se rende enfin compte que l'heure était à la fête. Karim Kebir