Les Turcs se rendent aux urnes aujourd'hui pour des élections législatives anticipées, que les observateurs assimilent à une véritable bataille entre les islamistes au pouvoir et les laïcs, même si le parti d'Erdogan est donné favori. Avancées de quatre mois en raison de la crise politique déclenchée par le rejet du principal candidat du parti du premier ministre, Recep Tayyip Erdogan, par le Parlement en avril dernier, les élections législatives turques anticipées constitueront un sérieux test pour la formation politique de l'AKP. Il appartient aux quarante-deux millions d'électeurs de choisir entre confier un nouveau mandat au parti d'Erdogan, ou remettre sur rail les partisans de la laïcité. Créé en 2001 sur les cendres d'un parti pro islamiste, l'AKP se défend de vouloir islamiser l'Etat. C'est cette question cruciale de la laïcité de l'Etat dans un pays musulman à 99% qui a provoqué la crise lorsque l'AKP a tenté de faire élire par le Parlement son candidat à la présidentielle, le chef de la diplomatie Abdullah Gül, connu pour être une ancienne figure de la mouvance islamiste. L'armée est alors sortie de son mutisme en lançant une mise en garde contre toute remise en cause du principe de laïcité. Pour les milieux laïcs, que sont l'armée, la bureaucratie, la justice et l'enseignement supérieur, le président est considéré comme un “rempart” contre l'islamisation. D'ailleurs, ils n'ont pas manqué de manifester massivement contre l'AKP. Bien que doté de pouvoirs limités, le Turc nomme les plus hauts fonctionnaires de l'Etat, dispose du droit de renvoyer une fois au parlement les textes auxquels il s'oppose. À en croire les derniers sondages, l'AKP est donné favori. Lors du précédent scrutin de 2002, l'AKP avait recueilli 34% des voix, obtenant 351 députés. Les derniers sondages créditent le parti du Premier ministre de 310 et 340 sièges à l'Assemblée, qui en compte 550 au total. Par contre son principal adversaire, le parti républicain du peuple (CHP) recueillerait environ 17% des voix, ce qui lui permettra d'obtenir entre 100 et 120 députés. Ceci étant, ces sondages d'opinion ont fait l'objet de nombreuses critiques de la part de plusieurs journaux locaux, qui y voient le fruit de la propagande du parti AKP. Selon le quotidien à grand tirage Hürriyet, “le résultat des élections sera un test difficile pour notre démocratie”. En dépit de cela, Erdogan a averti à l'avance qu'il refuserait de former une coalition, annonçant qu'il prendrait sa retraite politique si l'AKP n'était pas en mesure de gouverner seul, comme il l'a fait depuis son arrivée au pouvoir aux dernières législatives de 2002. En effet, ce scrutin pourrait compliquer la crise au lieu de la régler. Le nouveau Parlement devra en effet désigner rapidement un nouveau président, le mandat de l'actuel chef de l'Etat Ahmet Necdet Sezer ayant expiré le 16 mai dernier. Une chose est sûre, ces élections législatives semblent revêtir une importance capitale pour les Turcs, au point où quelque 10 millions d'entre eux, sur environ 42,5 millions d'électeurs, ont dû interrompre leurs vacances pour retourner voter, selon les médias. K. ABDELKAMEL