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Kif, explosifs et sorcellerie…
La gendarmerie traque clandestins et contrebandiers à Aïn témouchent
Publié dans Liberté le 05 - 06 - 2007

Harraga, contrebande, trafic de stupéfiants, immigration clandestine, fausse monnaie, autant de phénomènes auxquels font face les services de sécurité, entre police, gendarmerie et gardes-côtes.
La paisible wilaya d'Aïn Témouchent cache derrière son calme et son hospitalité une vie souterraine, nocturne qui tranche nettement avec son accueillante tranquillité diurne. Ce décor est fait d'un mélange d'anciennes bâtisses entretenues en l'état et la ville qui a poussé dans une harmonie rarissime aux autres villes du pays. Maintenant, elle découvre dans son nouveau palmarès des activités illégales, la sorcellerie et le charlatanisme. “Chaâouad'a”, agréable à entendre, mot arabe pour désigner la sorcellerie, cette pratique est répandue au Maroc. Les Juifs ont donné le nom au royaume lorsqu'ils ont qualifié ceux qui la pratiquent de “moghrib”, qui veut dire “l'étrange”, l'anormal. Des cas ont été enregistrés à El Amria, à El Maleh, à Aïn Tolba… un homme et une femme ont été arrêtés à Beni Saf. Les sorciers profanent de vieilles tombes, des vols de dépouilles ont été enregistrés dans ces localités. Sur les lieux, les gendarmes ont découvert du couscous, des bougies et le Coran. Le livre saint est retrouvé souillé, sali devant certaines habitations. La proximité avec le Maroc explique cette pratique connue dans la région ouest.
Aïn Témouchent ne perd, cependant, pas son attrait. Pourtant, la succession des événements liés aux divers trafics pousse les services de sécurité à être constamment sur le pied de guerre, surtout avec la période estivale qui réunit dans la région des estivants de tout le territoire national. En début de semaine, les gendarmes, en exercice sur la côte, ont repéré un yacht qui dérivait. Il a échoué à Oued El Halouf. Coincé entre les rochers sous une falaise, personne ne peut encore le retirer à cause des mauvaises conditions météorologiques. Le fort courant et les vagues empêchent toute approche par la mer. Le yacht, déserté vraisemblablement en haute mer, ne ressemble pas à une embarcation ordinaire ; il est doté de quatre moteurs puissants et présente des modifications. Des quatre moteurs, il ne reste que les supports, le nécessaire ayant été, soit dérobé, soit enlevé par les trafiquants. Il n'y a pas de place pour s'asseoir alors qu'il est long d'au moins douze mètres. L'avant est transformé en réservoir relié à l'arrière par un tuyau muni d'une vanne. On y a trouvé deux citernes de 1 000 litres chacune en plastique. L'une a été éjectée par les vagues, l'autre contenant encore de l'essence est restée sur le pont. Comme indices, on a trouvé une lessive, un yaourt de fabrication marocaine et du pâté danois. Ce qui laisse supposer que l'embarcation fait la liaison avec le Maroc. En l'absence d'identification, des hypothèses sont avancées. Le yacht est utilisé dans la contrebande de carburant par la mer. D'où la présence des deux citernes et du réservoir “bidouillé”. Les quatre moteurs peuvent aussi renvoyer à la piste de la cocaïne. Ainsi équipé, le yacht peut échapper à tout contrôle. Et accessoirement, il peut servir pour l'immigration clandestine. Cela, d'autant que l'Espagne n'est qu'à 90 km.
Les contrebandiers ont recours à toutes sortes d'astuces et de techniques pour faire parvenir à destination leurs produits. La destination est évidemment l'Algérie qui est avant toute une zone de transit.
On s'attarde avec le commandant de la compagnie locale de la GN sur les statistiques et les méthodes utilisées par les trafiquants. Les saisies de kif sont régulières.
600 kg, 50 kg, 1 700 kg. Les saisies de véhicules également. Une fois, les gendarmes ont saisi un bateau moulé entièrement dans le kif. Il représente 1 700 kg. Le bateau est espagnol, mais fabriqué au Maroc. Sur les routes, les trafiquants circulent sous escorte. Un véhicule est toujours placé en tête comme éclaireur. Il y a deux mois, ils ont arrêté un fourgon J5 et saisi 50 kg de kif, un Touareg lui a ouvert la voie. La quantité était dispersée et disséminée dans la roue de secours, le carter et la boîte de vitesses. Grâce au renseignement, aux informateurs, plusieurs réseaux ont été démantelés. Les trafiquants utilisent plusieurs immatriculations, des voitures trafiquées. Laguna, BMW, Clio, 505, et la plus répondue R25. Le dernier groupe en date est composé de 6 personnes dont 3 armées. Le chef de ce groupe ne dépasse pas 22 ans. Parfois, des colis sont récupérés en mer, aux endroits où le courant est très fort. 200 kg en paquets de 30 kg ont été récupérés sur la berge. Parfois, il est fait appel au groupe d'intervention, une unité spéciale de la gendarmerie. Mais le trafic ne s'arrête pas au kif. Le domaine s'étend aussi aux explosifs. 12 kg d'explosifs et 80 mines antipersonnel en provenance du Maroc en été saisis. Le réseau s'étend de Maghnia à El Amria, localité située entre Aïn Témouchent et Oran. Les enquêteurs ont été obligés de creuser 10 mètres dans les toilettes de la maison d'un des membres du réseau pour trouver les explosifs cachés. Habituellement, les explosifs sont vendus à des pêcheurs, mais comme le groupe avait le monopole sur ce produit, le client peut bien être n'importe qui, a estimé l'officier de gendarmerie.
Il y a aussi l'émigration clandestine. De ce côté de la côte, ce sont plutôt les harraga. Des jeunes âgés entre 25 et 30 ans, sont à 70%, selon les estimations, originaires d'Oran. Ils viennent à Aïn Témouchent, s'installent dans la forêt en attendant le feu vert des passeurs. Ces derniers sont souvent d'Aïn Témouchent. Lors de leur dernier coup de filet, les gendarmes ont arrêté 20 personnes dont le guide. Ils ont saisi une embarcation, des vivres, des gilets de sauvetage, de l'argent, un appareil GPS et une boussole. Désormais, la surveillance de la côte est permanente. Une stratégie est mise en place pour juguler ce phénomène. En plus de la surveillance, les services de sécurité s'appuient sur un réseau de renseignements, des hélicoptères et les gardes-côtes. Les harraga choisissent, par ailleurs, les jours fériés et les jours de fête pour tenter d'aller à Almeria, qui est à 80 km, soit 6 heures de navigation. Le 1er novembre dernier, 60 personnes ont été arrêtées, dont le guide qui est le chef de détachement de la garde communale. Maintenant, même les étrangers, dont des Marocains et des Pakistanais, transitent par Aïn Témouchent. Une soixantaine de Marocains ont été arrêtés en 2007. La dernière “pêche” remonte à une semaine. Un jeune de Baba Hassen (Alger) a été arrêté ainsi qu'un chargé du recrutement des harraga, un barbu BCBG. insoupçonnable.
La localité n'échappe pas non plus au phénomène du vol de cuivre et autres matières “exportables” et financièrement rentables. Plusieurs groupes spécialisés dans le vol des conduites d'eau ont été arrêtés. Sept personnes ont été prises en flagrant délit de déterrer d'anciennes conduites avec un engin. 2 000 mètres de câble électrique de haute tension abandonnés dans une ferme ont été récupérés par la gendarmerie. 30 compteurs de gaz neufs dans des cartons jetés sur le bas-côté de la route ont été trouvés. Les voleurs ont dû les abandonner à la vue d'une patrouille de la gendarmerie. Ils ont été volés à Oran et étaient destinés pour le Maroc. La dernière interception de carburant s'est soldée par la saisie de 1 000 litres de mazout dans une R25, dont la malle a été transformée en réservoir. Les contrebandiers se sont sauvés à bord d'une autre voiture d'escorte. Comme ont été saisis 50 véhicules à El Amria uniquement, deux bus pleins de marchandises estimées à 2 milliards de centimes. Une quantité de pièces détachées d'une valeur de 6 milliards et un faussaire recherché depuis 2 ans. Il est porteur d'une fausse carte d'identité. Il falsifie toutes sortes de documents : factures, cartes d'identité, diplômes universitaires, extraits de naissance, permis de conduire, actes de vente, cartes d'immatriculation françaises, des documents de concessionnaires automobiles… Les services de sécurité, tous corps confondus, mènent une guerre implacable contre tous ces fléaux. Malgré ce sombre tableau, Aïn Témouchent demeure une ville touristique très attractive. En été, elle attire jusqu'à 9 millions d'estivants. Elle reste aussi une des meilleures côtes du pays.
Rechgoun 1 et 2, Madrid, la Marmite, Targua, Oued El Halouf, plage du Dimanche, Sassel, Madagh 1 et 2 sont autant de plages situées dans un décor authentique. Cette affluence particulière dicte le renforcement de la sécurité sur tout le littoral avec un renfort et de nouveaux postes de garde temporaires. La nuit étale son sombre drap sur la fraîcheur de la ville qui laisse la porte ouverte aux tentatives des trafiquants, des contrebandiers et des harraga, répétition d'une scène régulière, dans une sorte de partie aléatoire et infinie, un jeu hasardeux dans lequel comptent l'aventure dangereuse et le risque. Mais le but demeure, quel que soit le côté de la barrière, la loi. Comme le ressac après le choc des vagues contre les falaises, la bataille pour la loi pour les uns et contre elle pour les autres se poursuit inlassablement. On quitte Aïn Témouchent avec un léger sentiment d'avoir raté quelque chose, un goût d'inachevé. Mais l'on gardera les images de ces gendarmes de l'unité d'intervention dans leur exhibition qui était le clou de l'inauguration des portes ouvertes sur la gendarmerie qui a drainé, en plus des autorités locales, une foule de citoyens.
D. B.


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