Les barons marocains recrutent des guides algériens, ils sont de fins connaisseurs de la région, souvent liés à la contrebande, chauffeurs chargés de faire traverser la frontière à la marchandise. Les trafiquants utilisent un cortège avec éclaireurs pour ouvrir le chemin. Le cortège peut comprendre plusieurs voitures, et vu l'étendue du réseau routier, il n'est pas difficile de changer de cap en cas de présence d'un barrage. Les gendarmes ont multiplié les barrages et grâce à un travail de renseignement, ils ont pu démanteler plusieurs réseaux de trafic de drogue. La ferme est située à la périphérie de Aïn-Témouchent, un peu en surplomb de la vallée. Selon un tuyau fiable, on y trouve des “récupérateurs” de drogue, ces sacs de kif traité que les trafiquants planquent dans les rochers avant que d'autres complices viennent les récupérer. Ce n'est qu'une filière parmi d'autres. Celle qui utilise la voie maritime. À peine quelques minutes et la ferme est bouclée hermétiquement par les éléments d'intervention de la gendarmerie accompagnés de la brigade cynophile. Gendarmes et chiens renifleurs passent les lieux au peigne fin. La ferme a gardé son aspect ancien ; rien n'y a été changé. Sauf les occupants, des jeunes qui y travaillent, la gardent alors que le propriétaire est ailleurs. Les vieux murs pleins d'histoire sont aussi des remparts pour les yeux curieux, pour des activités de trafic de drogue. Bilan drogue, zéro. La fouille des locaux habitables donne néanmoins des bouteilles d'alcool, du Chivas, un whisky logiquement inaccessible à un travailleur agricole. Contre un mur d'enceinte un long et lourd sac plein de bouteilles vides de toutes sortes d'alcool. Un des occupants justifie cette profusion par l'organisation d'une fête. Un fête dans ce lieu à l'insalubrité à repousser l'imagination du faste des noces. Avec un zeste de déception, on quitte ce lieu poussiéreux pour un autre qui ne lui est pas totalement différent. La drogue, un fléau majeur Une autre ferme entourée de soupçons ; soupçons de trafic de fausse monnaie. Bouclage, investissement des lieux et fouille. Deux jeunes sont occupés à remplir des sacs d'aliments de bétail, rien ne les inquiète. Aucune trace des objets recherchés. Et à la place, une femme, un être étranger à ce lieu qui balbutie des explications sans portées. Dans un coin sont jetés divers documents, factures, ordonnances, des PV, des procurations… une vraie déchargé d'archives que les gendarmes s'affairent à “éplucher” minutieusement. Entre les employés, le gardien, le vendeur, le propriétaire, le locataire exploitant, les noms se mêlent comme un écheveau. Difficile de déceler qui est qui et qui fait quoi. On aura cependant compris que ces fermes isolées peuvent cacher des activités illicites comme le trafic de drogue, d'alcool, de fausse monnaie et de prostitution ; des activités intimement liées même si les commanditaires demeurent souvent “fantômes”. Ces deux exercices sont une des méthodes d'action des services de la gendarmerie de lutte contre le trafic de drogue qui demeure le fléau majeur dans cette région. Région qui a 80 kilomètres de côte et un réseau routier de 2 500 kilomètres faisant le lien avec les autres villes de l'Ouest ainsi que les côtes marocaines connues depuis longtemps pour être le point d'embarquement de cargaisons de cannabis vers l'Espagne. La quête de nouveaux marchés pour les producteurs marocains qui ont intensifié la culture du cannabis et le renforcement de la surveillance espagnole des réseaux impliquant directement des responsables officiels du Maroc a poussé les trafiquants à se rabattre sur les villes frontalières algériennes utilisant les voies terrestres et maritimes avec la complicité de trafiquants algériens. Rien que pour les premiers huit mois de l'année en cours, les services de la gendarmerie ont saisi plus de 800 kg de kif traité et arrêté 25 personnes. Une partie de cette drogue a été récupérée sur les plages, les criques, les rochers dans des sacs ou des cartons scellés que des intermédiaires algériens sont chargés de récupérer. Ils sont parfois de prétendus campeurs qui ratissent la côte tôt le matin. La marchandise récupérée est dissimulée dans des fermes isolées comme celles visitées le matin. Il arrive également que les trafiquants balancent par-dessus bord le produit à la vue des patrouilles des gardes-côtes, celui-ci est alors entraîné vers les plages par les vagues. Il y a une part de hasard dans ces saisies en mer. Ce qui n'est pas le cas dans la traque des réseaux utilisant les voies terrestres. Esquisse des modes opératoires des trafiquants et des gendarmes Les barons marocains recrutent des guides algériens, ils sont de fins connaisseurs de la région, souvent liés à la contrebande, chauffeurs chargés de faire traverser à la marchandise la frontière. Les trafiquants utilisent un cortège avec éclaireurs pour ouvrir le chemin. Le cortège peut comprendre plusieurs voitures, et vu l'étendue du réseau routier, il n'est pas difficile de changer de cap en cas de présence de barrage. Après la première étape, Maghnia, la seconde est Oran ou Sidi Bel-Abbès, trajet où les trafiquants élaborent, selon les circonstances, des stratégies variables. À quoi s'adaptent les stratégies de lutte que met en place la Gendarmerie nationale qui a désormais, d'une manière ou d'une autre, une présence permanente dans toutes les villes concernées. Des barrages de contrôle sont régulièrement dressés en plus des embuscades qui ciblent des véhicules bien précis. Evidemment le travail de renseignement joue un rôle primordial dans ces cas. Dans la nuit du 6 au 7 mai dernier, les gendarmes ont réussi à intercepter un véhicule, une Peugeot 505, qui a forcé un barrage et la herse à Sassel, les pneus crevés, la voiture s'est arrêtée. Il a été découvert à l'intérieur 600 kg de kif traité. Les trafiquants utilisent également des passagers utilisant des véhicules de transport comme les taxis. Ces passagers transportent avec eux de petites quantités. La nuit pointe à l'horizon de Aïn-Témouchent qui ne perd rien de son calme de la journée. Les familles, contrairement à beaucoup de villes du pays, peuvent sortir en ville, à la plage sans qu'elles soient dérangées. Le nettoyage a été entamé juste avant la saison estivale. À Targa, une des meilleures plages de l'Ouest, et peut-être d'Algérie, on continue d'envahir le sable pour profiter de la brise et oublier la canicule de la journée. Des familles, des jeunes, circulent, prennent des glaces, un bol d'air sur fond de musique. Les gendarmes sont là en permanence, veillent sur la tranquillité des lieux. Bien à l'abri des regards familiaux quelques buveurs sirotent leurs bouteilles de breuvage alcoolisé dans un calme olympien. Cette discrétion est “tolérée”. Sauf quand quelqu'un est pris d'un delirium comme un rédacteur en chef en pleine crise mystique, il est vite embarqué. Même ambiance à la plage Dimanche qui connaît en cette soirée une affluence qui rappelle l'ouverture de la saison estivale. Les patrouilles signalent RAS. Mais ce calme est feint, couve les activités souterraines, invisibles à l'œil du simple citoyen. Vers 4 h du matin, les gendarmes arrêtent un groupe de six personnes et découvrent en leur possession 20 g de cannabis. La saisie est infime, mais les gendarmes demeurent intransigeants sur la drogue. Il n'y a pas de quantité tolérée, souligne le commandant du groupement. Cet été est relativement calme de l'avis du premier chef de la gendarmerie, mais cela ne change rien pour lui. Son territoire est un axe stratégique pour les deux grands phénomènes que sont l'émigration clandestine et le trafic de drogue. Targa, Madrid ou Dimanche sont des points d'embarquement ou de chute pour les deux activités. En hiver, ce sont surtout le harragas qui les choisissent, parce qu'elles ne sont pas, en certains points gardées, là où elles sont bordées de forêt. Il y a également le bénéfice de la courte distance qui les sépare des côtes espagnoles. Si ces activités se poursuivent comme témoignent les interceptions, c'est que les structures et les effectifs dont dispose la gendarmerie de cette wilaya sont insuffisants pour leur faire face plus efficacement. Et délester Aïn-Témouchent de ses deux fardeaux encombrants et ne lui laisser que les couleurs de ses merveilleux étés et les étendues de ses vignobles verdoyants en cette saison. D. B.