On pouvait spontanément se scandaliser de cette campagne d'éradication lancée par les “grands” et “moyens” partis contre les “petits”. Réaction naturelle quand il s'agit de défendre les quelques petites empreintes de démocratie qu'on peut déceler dans la vie publique nationale. Pourquoi, en effet, prendre le risque de soutenir une restriction à la liberté d'association, même sous le prétexte d'une assemblée plus “cohérente” ? Mais à bien y réfléchir, y a-t-il des territoires plus défendables dans le paysage politique ? Le consensus avec lequel le gouvernement va ordonner le viol de la Constitution pour cause de congés payés, de rentrée scolaire, puis de jeûne, montre la “cohérence” établie qui unit la classe politique dans son ensemble. Quand les “tiers” députés ont été installés, pas un souffle sur l'inconstitutionnalité de la gestion de l'intermède entre les deux APN. Le dosage scientifique concocté pour le partage des sites stratégiques de la hiérarchie parlementaire a suffi à contenter tout le monde. Et le contentement s'exprime par la surenchère ou par le silence. Et tout le monde a surenchéri sur la nécessité d'interdire les partis “atomiques” et s'est tu sur l'essentiel : l'illégitimité de la chose politique même qu'exprime le rejet des élections par les deux tiers de l'électorat national. Pour la première fois, s'est exprimé un mouvement civique aussi massif que spontané. Il n'y a eu ni émeute ni slogan pour qu'on puisse accuser quelque “meneur” subversif ou quelque “main étrangère”. Et, d'un commun et tacite accord, tout l'establishment maison passe outre allègrement et se soucie déjà d'organiser le monopole collectif sur les institutions. Cela dit, ceux qui par ce procédé seront éliminés des avantages de la vie publique ne sont pas plus soucieux des libertés qu'on tue. Ils ne s'angoissent qu'à la perspective de passer à la trappe d'une révision de la loi électorale. Telle est la culture du sérail : la démocratie se mesure à l'aune de ses retombées sur soi et sur sa famille politique. Soltani vient de nous donner l'illustration de cette morale en proclamant que l'“alliance présidentielle est sclérosée par les égoïsmes politiques”. En un mot, c'est chacun pour soi, et il n'y a ni solidarité ni débat. Mais ce propos n'est que le fruit de sporadiques exaspérations auxquelles le chef du Hamas nous a habitués. Ni Soltani ni le MSP ne quitteront pour autant l'avantageuse coalition. Même les incohérences d'apparence participent à la cohésion de fond du système. Les trois appareils qui la composent partagent le seul fait d'être choisis par le Président pour la constituer. Cette cohabitation de frères ennemis s'impose à eux par le fait qu'ils renoncent à la légitimité populaire pour s'en tenir à l'unique moyen actuel d'accès au pouvoir, la cooptation autoritaire, même si les formalités républicaines, plus ou moins adaptées, sont souvent invitées à faire vitrine. Et aussi bien que le projet de reporter les élections locales est passé, aussi bien que le projet d'éliminer les petits partis est passé, le programme du gouvernement, que Belkhadem présentera, bien entendu, comme le programme du Président, passera. Dans le silence de ce consensus qui fonde l'imperturbable homogénéité du système. M. H. [email protected]