Aussi privée qu'elle puisse être, la banque Khalifa, dont les engagements avaient été nourris par des dépôts publics, continue de par les développements consécutifs à sa mise sous contrôle de la Banque d'Algérie, de provoquer des inquiétudes dépassant le simple cercle de la place nationale. Après la panique de ces derniers temps sur les chèques Khalifa, devenus “monnaie de singe” pour les professionnels de la place, l'effet boule de neige du malaise de cet établissement semble gagner l'espace financier international. En effet, des banques et des opérateurs étrangers, en position de créanciers, attendent, depuis fin novembre dernier, — date de la suspension de l'agrément des transferts devises — de recouvrer leur dû, né à la faveur d'opérations commerciales pilotées par la banque privée. Le black-out est total. Un fournisseur espagnol nous déclarera être en attente de plus de 300 000 euros auprès de clients algériens domiciliés à El Khalifa. Il précisera pourtant que ses partenaires algériens sont loin d'être défaillants ou de mauvais payeurs, puisque leur compte a bel et bien été débité et qu'ils ont réellement ordonné le transfert. Sauf que celui-ci n'arrivera jamais à destination car, entre-temps, la décision des autorités monétaires algériens est tombée brusquement, bloquant d'un coup tous les mouvements de capitaux en devises lancés sur les circuits de cette banque. Pour les opérateurs étrangers et leurs banques, tel qu'il nous a été confirmé, un tel risque de non-paiement qui fait véritablement office d'un cas d'école, n'a jamais pu être pris en compte. Comment s'attendre à une telle situation, du fait qu'El Khalifa Bank jouissait bien d'un agrément officiel sur la base duquel des banques européennes de 1er ordre avaient accordé leur confiance à l'institution de Abdelmoumen ? Quel sera le devenir de ces créances et qui payera ces fournisseurs, sachant que l'argent qui leur était dû a bel et bien été déposé aux guichets de cette banque ? Pour l'heure, personne ne semble en mesure d'apporter de réponses, les services de la Banque d'Algérie, contactés à cet effet, ont préféré se murer dans un silence absolu. Il est vrai aussi, avons-nous appris, que certaines banques européennes, notamment françaises, qui ont préféré garder l'anonymat, ont toujours affiché une certaine méfiance à l'égard de l'expansion “irrationnelle” d'El Khalifa Bank. Elles ont même été jusqu'à refuser catégoriquement de lier un quelconque mouvement d'affaires ou flux relationnel avec elle, en “dépit des propositions qui nous ont été faites”, signale-t-on. Notre interlocuteur, haut responsable d'une banque française, nous dira : “Nous avons conditionné l'établissement de relations d'affaires avec El Khalifa par la nécessité de nous présenter impérativement les documents de contrôle, bilans, etc., pour nous permettre de l'évaluer”. Et d'ajouter : “Nous n'avons jamais reçu ces documents, et pour nous cela signifiait qu'elle n'en disposait pas”. D'où le niet déclaré à cet “inconnu”, venu se greffer sur la scène financière. Par ailleurs, le débat est aussi porté de l'autre côté des frontières sur la valeur des agréments Banque d'Algérie et par prolongement, de l'assise crédibilité des banques privées algériennes, qui en prend désormais un sérieux coup. “Pour nous, il n'est plus question de travailler avec les banques privées algériennes”, soutient le banquier français, tirant enseignement de l'expérience d'El Khalifa Bank. Cela semble être le débat de ce qui s'apparente à l'effet tache d'huile sur la place financière internationale qui classe, désormais, la banque privée algérienne comme “structure à risque”. Un risque que même l'agrément de la Banque d'Algérie — si le silence de cette dernière persiste pour rassurer les créanciers — n'est pas en mesure de dissiper. Mieux encore, le désaveu porte aussi sur la signature de cet agrément, qui risque, à l'avenir, de ne plus convaincre. Dans ce cafouillage et le trouble Khalifa, il faut aussi dire que la partie semble désormais bien assurée pour les banques privées étrangères implantées en Algérie, en ce sens où elles peuvent tirer des dividendes de la situation. Le principe de la partie double joue en leur faveur et à un degré moindre, les banques publiques aussi appelées à retrouver leur clientèle. Les appréhensions nées de l'après-Khalifa vont se traduire en un rush de clients sur ces établissements. Que décidera l'autorité monétaire face aux partenaires étrangers ? Assumera-t-elle les conséquences d'un agrément apparemment abusivement “consommé” et optera-t-elle pour une démarche qui amortirait le choc ? D'autant que dans son élan, à l'international, El Khalifa a entraîné un pan considérable de la crédibilité du marché bancaire algérien. De ce point de vue, le risque Algérie pourrait sérieusement en pâtir. A. W.