Le président de la République aura cassé pas mal de tabous depuis son investiture, particulièrement avec des actions audacieuses et des coups d'éclat que l'on n'aurait jamais prêtés dans pareille conjoncture à une personnalité, fût-elle un chef d'Etat. Abdelaziz Bouteflika a ébranlé des certitudes, bousculé des situations qu'on croyait jusque-là acquises pour longtemps. Personne n'échappait, et personne n'échappe toujours pas à ses coups de gueule et ses coups de colère. Avec son accession à la magistrature suprême, l'Algérie venait d'hériter d'une autre manière de faire de la politique. Une manière de faire qui amenait l'opinion publique à décrypter les propos et gestes présidentiels, du reste fortement médiatisés, sous le prisme d'une remise en cause tellement convaincante qu'elle fait à chaque fois exploser l'applaudimètre. Et pour cause, cette manière de faire de la politique tranche superbement avec cette autre politique “mode d'emploi” éculée, dont l'obsolescence n'a eu que cette servitude à entretenir les replis frileux qui contrarient une Algérie qui veut avancer. Le décor des premiers pas de sa mandature, où tout paraît si simple, reste toujours planté, et la dernière visite d'Abdelaziz Bouteflika à l'ouest du pays en donne l'illustration. Bains de foule, poignées de main, discussions avec les citoyens… mais aussi coups de gueule, de colère, dépit… qui montrent bien qu'il reste toujours dans la trajectoire. On aurait dit que le président de la République était en campagne. L'enthousiasme qu'il suscite au sein de la population à travers son périple d'Est en Ouest, à Constantine, Annaba, Sétif, Mostaganem, Oran, montre bien que sa cote de popularité est restée intacte. Surtout quand le premier magistrat fustigeait, par exemple, un membre du gouvernement sur telle défaillance, tel autre sur un manquement et tançait un haut responsable sur son manque de sens du jugement. Quand il exigeait une enquête sur telle attribution de logements contestée par les citoyens, ordonnait la suppression des logements F2 par exemple… On ne saurait applaudir assez, sauf à rappeler que le président de la République avait déjà parlé, il y a deux ou trois années, de ces problèmes, avait fait les mêmes remarques, avait donné les mêmes orientations, les mêmes directives… Bouteflika disait la semaine passée : “On ne détruit pas des bidonvilles pour en construire d'autres.” Et exigeait : “Dès qu'on détruit, il faut qu'il y ait un projet de prévu. Il faut une fermeté implacable de la part des autorités.” On sera tenté de dire que le président de la République prêche dans un désert si l'on se rappelle qu'il a formulé la même sentence à Constantine, il y a de cela deux années, et fait la même exigence. Quel aveu voulait signifier alors Abdelaziz Bouteflika lors de son passage à Oran quand il s'étonna qu'on réalise encore des F2 ? Il ne sera pas inutile de rappeler à ce propos que le premier magistrat du pays insistait, deux années plus tôt, à l'est du pays, lourdement sur la réalisation des F3 parce que ces derniers s'adaptaient mieux à notre pays qui compte une moyenne de sept membres par famille. Quel aveu voulait encore signifier le président de la République quand il s'étonna qu'on construise encore, alors que la réalisation du million de logements a atteint sa vitesse de croisière, des cités qui ressemblent à des prisons ? Ou encore quand il déclara qu'il ne voulait plus inaugurer des infrastructures qu'il a déjà inaugurées ? Le soupçonnera-t-on de démagogie et de populisme ou relèverait-on, au contraire, que le président de la République est en train d'évoluer dans une sphère autre que celle où évolue son Exécutif ? Il est vrai que dans un cas comme dans l'autre, ce serait faire injure à la capacité de Abdelaziz Bouteflika à rebondir et à retourner les pires situations. Mais saurons-nous expliquer cette récurrence de coups de gueule présidentiels qui tendent à ressembler à un coup d'épée dans l'eau ? On se souvient de ce coup de colère du président de la République, apostrophant publiquement des membres du gouvernement : “Vous m'avez menti en Conseil des ministres !” Le bon usage politique aurait dicté aux ministres mis en cause publiquement de présenter leur démission, à défaut d'être limogés sur-le-champ par le président de la République. Comme devraient l'être tous ceux qui sont convaincus de défaillance dans l'application des lois et règlements ou tous ceux qui prennent des libertés avec les engagements publics du chef de l'Etat sur des questions qui mettent en jeu son crédit auprès des citoyens. De démissions ou de limogeages, il n'en sera rien, à croire que le premier magistrat du pays ne dispose pas de solution de rechange, donc obligé de composer avec ce qu'il “a sous la main”. Zahir Benmostepha