L'éventuelle présence du chef de l'Etat, demain à Guelma, exacerbe les supputations de part et d'autre de la Méditerranée. À Alger, les observateurs attendent avec impatience une nouvelle sortie du Président sur le passé colonial de la France en Algérie. À Paris, l'on craint une nouvelle “surenchère” sur le même sujet. Si le 4e colloque international sur le 8 mai 1945 est bien placé sous le haut patronage du président de la République, Abdelaziz Bouteflika n'ira pas pour autant à Guelma pour les commémorations du génocide colonial. Sa présence pour l'ouverture de la manifestation n'a jamais été inscrite dans l'agenda présidentiel, indique-t-on dans l'entourage du chef de l'Etat, même si l'invitation lui a bien été adressée par les organisateurs. “Non, il n'ira pas à Guelma. Depuis 1999, il n'a jamais assisté personnellement aux commémorations du 8 mai 1945. Le Président a toujours envoyé un message à cette occasion”, précisent les mêmes sources. D'autant, avance-t-on, qu'il n'y a eu aucune annonce officielle sur une quelconque présence de Bouteflika à Guelma, une telle éventualité ayant pour origine un article de presse. Le message présidentiel sera lu par Mohamed-Chérif Abbas, ministre des Moudjahidine, et néanmoins ancien secrétaire général de l'Organisation nationale des moudjahidine, dans l'enceinte de l'université du 8-Mai-1945. D'autres personnalités nationales seront également présentes. Il s'agit des présidents Chadli Bendjedid et Ahmed Ben Bella. Le président Liamine Zeroual n'a toujours pas confirmé, selon nos sources, sa présence. Mouloud Hamrouche, l'ancien Chef du gouvernement, a également confirmé sa participation. Pour les conférenciers étrangers, il y aura Me Vergès, Nicole Dreyfus et Jean-Louis Planche. Rarement une telle brochette de personnalités a été réunie pour une telle occasion. La teneur réelle de la lettre, qui sera envoyée par Abdelaziz Bouteflika, reste cependant la grande inconnue tant les supputations sont à ce sujet importantes. D'autant que celle-ci aura un impact, quel que soit son contenu, sur les relations algéro-françaises. La polémique créée en France après les déclarations du président de la République qualifiant le génocide du 8 mai 1945 non seulement “de génocide contre le peuple algérien, mais également de génocide de l'identité algérienne”, et ce qui en a suivi comme dérapages lors du déplacement privé de Bouteflika à Paris, a grandement affecté les appréciations sur la qualité des relations algéro-françaises. Côté français, les spéculations vont bon train sur ce que dira le Président à cette occasion, même si officiellement, on se refuse, toutefois, à tout commentaire sur un sujet relevant strictement des “affaires internes de l'Algérie”. Côté algérien, deux thèses sont avancées. On s'attend, d'une part, à un discours dans le prolongement des déclarations de Bouteflika à Constantine. “Il ne laissera pas passer l'occasion”, avance-t-on. De l'autre, on relève que le chef de l'état pourrait à cette occasion “calmer le jeu” en fermant, pour l'instant, une page noire des relations algéro-françaises. La conjoncture politique ne se prête pas à une surenchère. Les observateurs estiment qu'en déléguant à Mohamed-Chérif Abbas la lecture de son discours, Abdelaziz Bouteflika “verrouille” et clos de fait la polémique entre les deux capitales. Même si le discours est exprimé par le ministre des Moudjahidine au nom du Président, celui-ci n'aura pas la même teneur que si c'était le chef de l'état lui-même qui le prononçait. “Abdelaziz Bouteflika ne va pas laisser quelqu'un d'autre, même s'il le délègue personnellement, envenimer la situation. Il ne veut pas en rajouter mais plutôt calmer le jeu”, relève un observateur. Un argument qui s'appuie également sur la volonté des officiels français de tempérer les tensions après les réactions disproportionnées qui ont suivi la visite privée de Bouteflika à Paris. Les lettres de Philippe Doust-Blazy, de Jacques Chirac, et le message envoyé par Abdelaziz Bouteflika à son homologue français dès son retour à Alger visaient, affirme-t-on, cet objectif. Si aucun commentaire n'est permis du côté d'El-Mouradia sur les intentions du chef de l'Etat le 8 mai prochain, il y a toutefois une “certitude”. Celle de la volonté, côté algérien, de ne pas confondre entre “un passé commun et un avenir à construire”. Un passé pour lequel Alger veut que Paris reconnaisse, entre autres, ses torts et un avenir marqué par la réalité économique entre les deux pays. “Il y a une relation forte entre l'Algérie et la France. Il n'y a pas et il n'y aura pas de confrontation avec la France. Nous avons une histoire commune, une mémoire et une conscience collective”, précise-t-on. Si aux plans économique et commercial, la France est un partenaire important, les délégations se suivant de part et d'autres, la prochaine étant l'arrivée du ministre délégué au Commerce extérieur français le 8 mai prochain, la loi du 23 février glorifiant le rôle “positif” de la colonisation empoisonne toujours le processus politique. L'Algérie a clairement exprimé son appréciation à ce sujet. Alger ne veut surtout pas de pressions concernant la signature du traité d'amitié pour des considérations franco-françaises et des impératifs de calendrier électoral. Et il ne s'agit là nullement d'une “banalisation” ou d'une approche “politicienne” d'une relation plus que passionnelle entre Alger et Paris. Samar Smati