“Nous sommes très bien en France, mais nous adorons l'Algérie”, disent-ils pour conjurer les remords. Le malentendu avec ce pays qu'on porte dans l'âme mais qui ne nous retient pas. Cruel paradoxe. L'équipe nationale leur a offert l'occasion d'exprimer cet amour. Déployé dans le square Planchon qui fait face à la gare Saint-Roch de Montpellier, le drapeau algérien exhibe fièrement ses couleurs et crie la nostalgie des “harragas”. Plus que les dieux du foot brésilien, c'est la venue des Algériens qui fait l'évènement dans la capitale du Languedoc- Roussillon, une ville qui fait pâlir d'envie la capitale française noyée sous des trombes de pluie par un été qui n'en finit pas d'être pourri. Même si le cagnard ne cogne pas très fort en ce jour, l'ambiance méditerranéenne est très lisible dans les rues de Montpellier. Les terrasses sont bondées et les flâneries nonchalantes. Robes légères, shorts et tongs. Et aussi une envie de sieste. Au centre-ville, elle est difficile de trouver en ce mercredi après-midi. Et pour cause. Les rues résonnent d'un boucan inhabituel en ce mois d'août. Des cortèges et des klaxons qui font penser à un mariage algérien. Des emblèmes nationaux flottant au vent. Ce ne sont pas les dieux brésiliens du foot qui tiennent en éveil la ville “où le soleil ne se couche jamais”, comme disent les prospectus publicitaires. Certes, les Brésiliens ont un sens de la fête hors du commun. Le “carnaval” est pourtant algérien ce mercredi. Les supporteurs de la Seleçao ? Il faut vraiment les chercher. Et malheur à cet homme qui grimpe dans le tramway se dirigeant vers le stade de la Mosson. Son gamin est en jaune. Conspué copieusement par une grappe de jeunes qui chantent “les Algériens kamikazes, ga'e ittirou” sans craindre que l'allusion choque les autres voyageurs. “Ai-je la gueule d'un Brésilien ?” interroge l'homme en arabe. Applaudissements ponctués de “one, two, three viva l'Algérie”. Les touristes sourient. Les blagues fusent. Et on mime les receveurs de la RSTA. Dans le tramway qui va au stade de la Mosson, il y a des harragas en puissance qui ont dit adieu à Bab El-Oued, El-Harrach, Hussein-Dey. Ils ont aussi quitté Oran, Mostaganem, Sidi Bel-Abbès, Chlef, Batna. “Nous sommes très bien en France, mais nous adorons l'Algérie”, disent-ils pour conjurer les remords. Le malentendu avec ce pays qu'on porte dans l'âme, mais qui ne nous retient pas. Cruel paradoxe. L'équipe nationale leur a offert l'occasion d'exprimer cet amour. Ils ne l'ont pas ratée. Ils ont fait des centaines de kilomètres. Ils sont venus de Paris, de Marseille, de Valence pour le crier à tue-tête. Dans le tramway, ils se paient la tête d'un jeune qui a payé sont ticket. “Le pauvre, c'est sûr qu'il a peur de Sarkozy”, raillent-ils. Et de quoi auraient-ils peur, eux qui n'ont pas hésité à brûler les frontières au péril de leur vie ? D'un contrôleur de bus ? Allons donc ! Ces jeunes qui évoquent avec nostalgie leurs cités, leurs quartiers, et qui ont tout l'air d'avoir été de mauvais potaches savent quand même chanter Qassaman. La main sur le cœur ? Il fallait les voir face à l'Hôtel de ville de Montpellier. Munis d'un mégaphone, recouverts du drapeau, ils ont chanté en cœur l'hymne téléchargé sur un MP4. D'autres sont partis depuis longtemps. En France, ils ont une famille. Femme et enfants sont au rendez-vous. Pour se faire pardonner ce départ pourtant imposé, ils rêvent de faire de leurs gamins des Ziani et des Saïfi. C'est le vœu le plus cher de Bouzefrane Omar pour son fils Sofiane ou de Lanouar Kadi pour son fils Sofiane. À Montpellier, les harragas ont fait la fête. Ils ont exhibé leur algériannité. Ils ont encore démontré qu'entre l'Algérie et ses jeunes, il y a un malentendu. Y. K.