Un mauvais exercice de mémoire réduit la gloire du football algérien à l'épopée de Gijon lors du mondial espagnol. Les Algériens gardent, en effet, de cette participation de très beaux souvenirs, notamment la victoire contre l'ogre allemand. Un regard lucide sur la trajectoire de la discipline en Algérie enseigne, néanmoins, que l'acte de naissance de la sélection nationale a été signé par un groupe de jeunes, que le talent a amenés dans les clubs les plus prestigieux du Vieux Continent, mais qui ont refusé de porter d'autres couleurs que celles de l'Algérie. Alors que la force coloniale tentait d'éloigner tout facteur en mesure de faire avancer la révolution, l'équipe du Front de libération nationale a tenu à se placer comme le premier soldat de la lutte pour la libération du pays. Avec comme atout supplémentaire la capacité de semer l'esprit de la révolution de novembre et son message dans tous les coins de l'univers à travers les matches qu'elle a disputés. Le contexte était difficile : la sélection algérienne devait évoluer dans un environnement hostile. La puissance coloniale n'avait pas trouvé mieux que d'actionner les instances du football mondial pour empêcher la belle marche de l'équipe du FLN. Les faits sont bien relatés par l'écrivain Michel Naït Challal dans son livre Dribbleurs de l'histoire, l'incroyable histoire de l'équipe de football du FLN algérien, édité à l'occasion du cinquantième anniversaire de la naissance de l'équipe du FLN. L'auteur relate que, deux jours avant le premier match de l'équipe d'Algérie, le 9 mai 1958, face à la sélection marocaine, la Fédération internationale de football (FIFA) a adressé cette mise en garde : tout pays qui rencontrera l'équipe du FLN s'expose à de graves sanctions. Si la menace n'émeut guère la Libye, déjà suspendue par la FIFA, elle embarrasse les autres participants au tournoi de mai 1958, la Tunisie et le Maroc. Finalement, le royaume chérifien répondra présent le 9 mai (victoire algérienne 2-1) et la Tunisie s'inclinera en finale contre les joueurs du FLN, le 11 mai, sur le score sans appel de 6 buts à 1. Faisant front contre la guerre, l'instance internationale, statutairement apolitique, est passée à l'attaque. Selon la même source, quelques jours plus tard, la FIFA, répondait aux injonctions de la Fédération française et annonce la suspension des éléments de la sélection algérienne. Arribi, Boubekeur, Bekhloufi, Ben Tifour, Bouchouk, Brahimi, Kermali, Mekhloufi, Rouaï et Zitouni sont interdits d'exprimer leurs talents. Leurs mouvements n'ont pas été du goût des puissances occidentales. Selon le chercheur en sociologie, Meriem Kerzabi, «les craintes de débordement sont telles que le préfet d'Alger décide d'annuler la finale de la coupe d'Afrique du Nord. Cette même année, le FLN appelle les associations sportives musulmanes à cesser toute activité en mai 1956». Et à Naït Challal de conclure que «c'est dans ce climat que prend corps l'équipe du FLN, la future caisse de résonance du combat nationaliste. En Algérie, ces dix footballeurs ne sont pas des oubliés de l'histoire. On commémore leur geste comme on rendrait hommage à d'anciens combattants». Aujourd'hui, nul n'a le droit d'oublier que l'esprit fondateur de l'équipe nationale de football est né dans les moments douloureux de la révolution. Même les promesses les plus attractives n'ont pas changé l'engagement des footballeurs algériens. Ils ont préféré, par conviction et nationalisme, défendre les couleurs de l'Algérie plutôt que d'attendre des largesses et des avantages offerts par une force coloniale qui tuait leurs frères de lutte. Le choix des Mekhloufi, Zitouni et des autres est tellement important que les générations postérieures sont tenues de ne pas ignorer cette page de l'histoire du pays. Particulièrement aujourd'hui où l'argent a pris le dessus sur toute autre considération. Nourdine Korichi, le stoppeur des Verts durant les années quatre-vingt, a eu certainement raison de dire la semaine dernière que certains Algériens évoluant en Europe n'ont répondu à l'appel de leur pays qu'après avoir compris qu'ils n'ont plus de chances de porter les couleurs de la France. Dans les années 1950, l'esprit était autre: «Nous sommes algériens avant d'être footballeurs», déclarent, à l'unisson, tous les joueurs. A. Y.