Al-Jazeera s'est autorisé l'organisation d'un sondage synthétisant l'avis de ses téléspectateurs sur la légitimité des attentats qui, le 11 novembre, ont fait entre quarante et soixante-douze victimes à Alger. Devant cet indécent geste d'encouragement au terrorisme de la chaîne qatarie, la presse algérienne a été unanime à dénoncer ce qui est un crime en même temps qu'un affront à la mémoire de dizaines d'Algériens. Un tel parti pris peut-il cependant se suffire d'une simple indignation de circonstance ? Car qu'Al-Jazeera connaisse son camp n'avait de mystère pour personne, y compris pour nos officiels qui, à l'occasion, ne répugnent point à s'exprimer sur la chaîne qui soutient Al-Qaïda. Les dénonciations des gestes de soutien au terrorisme et des actes terroristes ne seraient-elles pas devenues de simples formules convenues qu'on prononce quand il n'est plus possible de fermer les yeux sur la dérive ? C'est vrai que, les attentats “sondés” ayant eu lieu à Alger, le geste d'Al-Jazeera ne peut qu'ajouter à notre révolte. Mais il n'est pas sain d'avoir une réaction strictement nationaliste quand la question est celle du statut de la vie et la mort. Al-Jazeera est pour le GSPC-al Qaïda en Algérie, comme elle était pour le GIA. Elle était pour les talibans en Afghanistan comme elle est pour Al-Qaïda en Irak. Beaucoup étaient alors émus que son correspondant à Kaboul, Tayssir Allaoui, fut poursuivi en Espagne pour… soutien au terrorisme ! Et on craignait un bombardement américain des studios de la pauvre télévision arabe ! Cet acte anti-algérien d'Al-Jazeera l'est parce que c'est un acte pro-islamiste, et donc pro-terroriste. À moins de vouloir aider Al-Qaïda et l'islamisme à brouiller les cartes de la géopolitique arabe, la question à se poser est celle de savoir qui est avec qui. Qui est avec le terrorisme et qui est contre ? Qui est avec l'islamisme, sa matrice idéologique, et qui est contre ? Le reste est atermoiement ou mystification. Posée aussi clairement, la question ne trouvera pas beaucoup de personnes prêtes à se définir. En Algérie, la communication officielle, à travers sa télévision unique, a largement contribué à la propagande de l'idéologie du crime. N'est-ce pas par elle qu'on dénonçait les “laïco-assimilationnistes” avant qu'ils ne soient ciblés ? N'est-ce pas l'ENTV qui nomme les terroristes d'Al-Qaïda qui s'explosent dans les marchés de Bagdad, massacrant d'innocents civils une “mouqaouama el-irakya” (résistance irakienne)? Le sondage est fait. Le mal aussi. Le plus terrible n'est-il pas d'apprendre que 54,5% des téléspectateurs — qui sont des dizaines de millions de nos “frères” arabes et musulmans — soient pour les attentats terroristes ? Le plus insupportable n'est-il pas cette horrible réalité de partager un espace culturel où le meurtre a tant d'adeptes ? Comme nous ne sommes pas nombreux à avoir le courage de l'endosser et d'affronter cette réalité, autant s'en tenir à condamner le sondeur. Cela nous dispense de poser la question de l'état de la sphère identitaire que nos dirigeants nous ont choisie. M. H. [email protected]