Habituellement très critique à l'égard du royaume wahhabite, la chaîne Al-Jazeera ne distille plus son venin contre ce régime. La décision est tombée à l'issue d'une réunion, convoquée par le souverain saoudien, avec de hauts responsables à Doha et en présence du président du conseil d'administration de la chaîne satellitaire. Mettant jusque-là à profit le contentieux entre le Qatar et l'Arabie Saoudite, datant du milieu des années 1990, suite aux accusations de Doha contre Riyad auquel elle reprochait son soutien à une tentative de coup d'Etat, la chaîne Al-Jazeera a été créée pendant cette période à l'effet de critiquer la monarchie saoudienne. Pour rappel, elle a été fondée grâce à un don de 150 millions de dollars de l'émir du Qatar, cheïkh Hamad Ben Khalifa At-thani, renversé plus tard par son fils. Ses apparences de chaîne privée ne font pas illusion, elle appartient en fait à la famille princière régnant sur le pays. D'ailleurs, Al-Jazeera n'a jamais, au grand jamais évoqué la présence de “marines” au Qatar alors qu'il s'agit de la plus importante base américaine à l'étranger. Elle a servi de profondeur logistique et stratégique pour les deux guerres contre l'Irak, et servirait probablement en cas d'attaque américaine contre l'Iran. Selon le New York Times, qui a révélé la tenue de la réunion, elle s'est déroulée sur fond de solidarité entre les régimes du Golfe face à la menace iranienne et au chaos prévalant en Irak. Depuis ce jour, et sur injonction des responsables de son conseil d'administration, composé de princes qataris, on aura effectivement constaté qu'Al-Jazeera a modifié sa manière de rapporter l'information touchant à l'Arabie Saoudite. Ceci a été confirmé par un responsable du département d'information de la chaîne, lequel a affirmé que des orientations ont été données afin de ne plus traiter les informations se rapportant à l'Arabie Saoudite avant d'en référer au conseil d'administration. La conséquence est la disparition des voix critiques contre Riyad de l'écran d'Al-Jazeera. La même source a ajouté que mettant à profit l'amélioration de leurs rapports avec le Qatar, les Saoudiens ont voulu faire taire Al-Jazeera. Et tout indique qu'ils y sont parvenus. À en croire certains journalistes de la chaîne, celle-ci ne recourra pas au black-out au sujet de l'information touchant l'Arabie Saoudite, mais traitera les événements marquants. Par contre, d'autres journalistes arabes ont estimé que cette soudaine envie d'Al-Jazeera de se mettre aux côtés de Riyad est la preuve qu'il n'existe pas réellement d'organes de presse libre dans la région. Quant à Doha, qui a créé cette chaîne dans le seul but de critiquer Riyad, elle s'est rendue compte qu'elle ne pouvait continuer dans cette voie en raison de la fragilité de l'émirat face à son voisin iranien. Le Qatar a besoin du parapluie saoudien, quand bien même le Conseil de coopération du Golfe s'est normalisé avec Téhéran, justement à Doha, lors de son dernier sommet auquel a été convié Mahmoud Ahmadinejad. Il y a lieu de rappeler qu'Al-Jazeera s'est ouvertement attaquée au royaume saoudien en 2002 en diffusant un débat critique sur l'initiative de paix israélo-arabe prônée par le roi Abdallah, qui était le prince héritier à l'époque. Les offensives se sont accentuées par la suite à travers la diffusion des vidéos du patron de la nébuleuse Al- Qaïda, Oussama Ben Laden, lequel ne cessait d'appeler au renversement du régime wahhabite. Cela avait valu des reproches à la chaîne, qui avait été accusée d'avoir rendu Ben Laden très populaire et de l'aider indirectement à mobiliser davantage de jeunes dans le monde arabo-islamique. Plus critique, Souleïmane Al-Hatlane, l'analyste et ex-rédacteur de la version arabe du magazine Forbes, dira que les médias arabes jouent actuellement le rôle des poètes durant l'ère antéislamique. En d'autres termes, ils se limitent aux louanges. K. ABDELKAMEL