La chaîne d'information Al Jazeera fête, cette année, son dixième anniversaire. La chaîne la plus controversée au monde a fait du chemin depuis sa mise en service, le 1er novembre 1996. Elle a réussi le pari insensé d'éclipser CNN lors de la seconde guerre d'Irak. Et la petite chaîne qui monte ne manque pas d'ambition. A partir du printemps de cette année 2006, l'objectif d'Al Jazeera est de diffuser ses programmes en anglais et donc d'ajouter des millions de téléspectateurs anglophones, notamment américains, aux cinquante millions de téléspectateurs arabophones actuels. Le journaliste anglais Hugh Miles, né en Arabie Saoudite, grand connaisseur du Proche-Orient, a eu accès pendant deux ans aux coulisses d'Al Jazeera. Il nous raconte de l'intérieur l'ascension fulgurante de la chaîne qui déplaît souverainement aussi bien aux régimes arabes qu'aux Etats-Unis. Parce qu'Al Jazeera a ringardisé définitivement les télévisions arabes, les renvoyant au mieux à des outils de propagande. Les téléspectateurs algériens ne diront pas le contraire. La chaîne qatarie a réussi le pari impossible : faire du journalisme professionnel dans le monde arabe, un univers peu réputé pour la liberté d'expression. En visitant le site de la chaîne à Doha, le président égyptien Hosni Moubarak est abasourdi. « Dire que tous mes ennuis proviennent de cette boîte d'allumettes ! », confie-t-il à son entourage. De fait, tous les régimes arabes, sans exception aucune, ont essayé de museler Al Jazeera, certains iront même jusqu'à rompre les relations diplomatiques avec le Qatar. La quasi-totalité des chaînes nationales refusent de laisser les opposants s'exprimer. Al Jazeera innove en donnant la parole à toutes les parties. Du coup, elle devient courtisée par tout le monde. Et son audience ne cesse de grimper, au grand dam des despotes arabes. Les islamistes et les démocrates algériens par exemple, interdits de télévision chez eux, trouvent refuge à Londres ou à Doha. La guerre contre les talibans en Afghanistan puis celle d'Irak finissent par asseoir la chaîne sur le plan international. Al Jazeera devient la principale source d'information dans cette partie du monde. Les faucons de Washington la voyaient comme cible potentielle tant elle dérangeait leurs plans. Le numéro un d'Al Qaïda, Oussama Ben Laden, en lui réservant ses exclusivités, contribuera à la rendre à la fois incontournable, mais aussi très controversée. Faute de pouvoir faire taire Al Jazeera, ses détracteurs s'y invitent. La chaîne a vu passer tous les hauts responsables américains. Ils ont été interviewés d'une façon professionnelle, sans complaisance. D'abord accusée d'être pro-Ben Laden, puis d'être financée par la CIA, ensuite d'être à la solde des Israéliens, Al Jazeera est tout simplement professionnelle. En donnant la parole à tout le monde, d'où sa devise « Une opinion et l'opinion opposée », elle fissure le mythe d'une presse arabe servile. Bémol : la chaîne s'attaque rarement au Qatar. Son unique financier n'est autre que l'émir cheikh Hamad ben Thamer Al Thani. « Les partis politiques sont toujours illégaux au Qatar, de même que tout ce qui y ressemble de près ou de loin, comme par exemple un mouvement écologiste, une association de consommateurs ou un syndicat. Aucune opposition n'est tolérée et la gestion ne souffre pour l'instant aucun débat », note Hugh Miles. La chaîne se défend de toute partialité et rappelle qu'elle donne la parole aux dissidents qataris et critique des décisions ministérielles. Elle précise aussi que le Qatar est un tout petit pays, 11 000 km2 pour 610 000 habitants, et qu'Al Jazeera a une vocation mondiale.