L'argument fallacieux dont se défend Doha, quant au statut privé de la chaîne, ne tient pas la route lorsqu'on sait qu'elle est financée par l'émir du Qatar. L'incident diplomatique survenu avec la Tunisie a prouvé le caractère quasi officiel d'Al-Jazeera. Quant au reste, c'est une affaire de lobbying et de pression. L'Algérie subit aujourd'hui de plein fouet une véritable campagne de désinformation. Doha a-t-elle donné son aval ? Financée par l'émir du Qatar, Cheikh Hamad Ben Khalifa Al Thani, et dirigée par le Jordanien Waddah Khanfar, la chaîne Al-Jazeera est la station télé des plus performantes dans le monde avec un staff de journalistes parmi les plus doués du monde arabe. Elle émet 24h/24 en langue arabe classique grâce à trois satellites couvrant le Moyen-Orient, le Maghreb, l'Europe et l'Amérique du Nord. Son siège est à Doha, la chaîne disposant d'une douzaine de bureaux dans le monde arabe, mais aussi aux Etats-Unis, en Europe, en Iran, en Afghanistan, en Indonésie et en Russie, ainsi que d'une pléiade de correspondants et de consultants internationaux. Elle emploie au total un peu plus de 2 000 salariés dont un quart sont qataris. De gros moyens au service du royaume La chaîne Al-Jazeera traite des sujets brûlants et couvre le monde arabe entier par des correspondants éminents. Des émissions percutantes animées par des personnes de haut niveau culturel. Elle est dynamique et variée au point de vue de programmation, car outre les talk-shows et émissions d'information, la chaîne présente des revues de presse, des documentaires ainsi que des programmes culturels et ou éducatifs consacrés à l'histoire, à l'environnement, à la santé et aux nouvelles technologies. Une quantité de ses programmes sont achetés à des chaînes étrangères, mais elle-même en produit un certain nombre. Quant aux émissions économiques et financières, elles s'accompagnent souvent de reportages réalisés en direct des Bourses de Londres et de New York. Al-Jazeera a lancé, dès novembre 2003, une chaîne à péage consacrée au sport qui diffuse en direct des matchs de football européens. Au début de l'année 2006, elle a inauguré une chaîne pour enfants et une chaîne documentaire est déjà opérationnelle. Reste que les projets les plus prometteurs sont Al-Jazeera English et Al-Jazeera Dawlia, un quotidien panarabe qui devrait voir le jour en cette année 2007. Al-Jazeera est cependant confrontée à la concurrence d'Al-Arabia, la chaîne d'information créée conjointement en 2003 par plusieurs Etats moyen-orientaux et des hommes d'affaires saoudiens, libanais et koweïtiens pour contrecarrer son influence sur l'opinion, mais aussi d'autres chaînes satellitaires comme Abou Dhabi TV, ANN, ANB, Al Mustakillah, Nile News et autres Al-Hurra. La chaîne qatarie reste la plus regardée dans le monde et dans la diaspora. La chaîne qatarie s'est constituée à partir d'un noyau de journalistes et de techniciens arabes formés à Londres qui, entre 1994 et 1996, travaillèrent pour Arab BBC News, une chaîne d'information créée conjointement par la société saoudienne Orbit à Rome et BBC World Service, mais qui n'a pas duré longtemps. Al-Jazeera a mis du temps à s'imposer et n'y est parvenue qu'en multipliant les coups d'éclat. Elle a été la première télévision arabe à donner la parole à des responsables israéliens, aux groupes radicaux lors des attaques aériennes contre l'Irak, Al-Jazeera sera la seule télévision étrangère à couvrir l'événement en 2000. On peut citer quelques émissions. Les émissions les plus suivies Animée depuis Londres par Samir Haddad, “Akthar min ray” (plus qu'une opinion) est l'un des talk-shows les plus suivis. “Bila houdoud” (sans frontières), un duel à fleurets mouchetés entre le présentateur égyptien Ahmed Mansour et son invité, a également d'indéfectibles partisans, de même que “Sirri lil ghaya” (top secret), une émission d'investigation sur les sujets controversés ou “Hiwar maftouh” (débat ouvert) de Ghassan Ben Jeddou. Mais l'émission phare reste “Al- Ittijah al mouakis” (à contre-courant) qu'anime Fayçal Al-Qacim. “Al charia wal hayet” (la charia et la vie) est une autre émission dont l'invité est souvent le théologien égyptien Youssef Al-Qaradaoui. Si la chaîne Al-Jazeera a connu un succès retentissant en raison de sa large couverture, il ne faudrait pas perdre de vue qu'elle est soumise à une ligne éditoriale très stricte quant au respect des régimes monarchiques du Golfe et du Maroc. Cependant, cette tendance pro-israélienne a placé cette chaîne dans une stratégie de soutien sans faille aux mouvements islamistes radicaux, voire terroristes dans le monde en général et dans les pays arabes en particulier. Aucune critique, encore moins une réserve, n'est permise sur l'antenne de la chaîne à l'égard du régime qatari. Les exigences de la guerre internationale contre le terrorisme L'on doit légitimement s'interroger sur les valeurs de liberté d'expression et de démocratie qui, soit dit en passant, ne connaissent aucun début de concrétisation au Qatar, véhiculées par une chaîne qui s'efforce de donner une façade de pluralisme à un régime des plus fermés dans le monde. Si le Qatar s'en défend en affirmant à chaque occasion qu'Al-Jazeera est une chaîne de statut privé, l'argument ne tient pas et ne tient plus la route lorsqu'on voit le parti pris flagrant des animateurs de la chaîne. Lors d'une émission organisée à la veille de l'examen par le Conseil de sécurité du dossier du Sahara occidental, l'ambassadeur de la RASD en Afrique du Sud a complètement ridiculisé son interlocuteur marocain, et ce, malgré les positions clairement affichées ce jour-là de l'animateur d'Al-Jazeera. Et les exemples sont légion pour refléter cet état de fait. Il n'y a qu'à se demander pourquoi cette chaîne, qui s'autoproclame des idéaux de la démocratie, n'invite pas des leaders du courant démocratique et républicain en Algérie à s'exprimer sur son antenne. En fait, la volonté de donner cette image d'un pays soumis à l'influence des islamistes est manifeste. La Tunisie a dû menacer de rompre ses relations diplomatiques avec le Qatar pour qu'Al-Jazeera cesse sa campagne de désinformation et d'intox sur le pays de Ben Ali. Depuis, la chaîne qatarie couvre la Tunisie de façon normale même si de temps à autre, il lui arrive d'égratigner le régime de Ben Ali sur le plan de la situation des droits de l'Homme. Les revers de la propagande Mais, dans le cas de l'Algérie, la situation est beaucoup plus grave. La lutte contre le terrorisme international suppose une solidarité sans faille de toute la communauté internationale et surtout au sein des pays arabes où la montée des mouvements salafistes a commencé dans les monarchies du Golfe. Aucun Etat dans le monde n'est à l'abri de la violence islamiste, et les événements qui se sont succédé depuis les attentats du 11 septembre 2001 aux USA, jusqu'aux actes terroristes perpétrés le 11 avril dernier, à Alger, ont révélé au grand jour la nature transnationale du terrorisme. Si le souci d'Al-Jazeera est de livrer le maximum d'informations sur les réseaux radicaux qui empoisonnent aujourd'hui les sociétés arabes dans le but de prémunir le Qatar contre tout danger de contagion, il n'en demeure pas moins que cette stratégie a forcément ses limites. L'excès de propagande sur les mouvements islamistes et leurs actions criminelles équivaut ni plus ni moins à l'apologie du crime et du terrorisme. Amine Allami