Le Centre de presse d'El-Moudjahid a organisé, hier, une table ronde portant sur le thème de l'Internet. Pour le débat, les organisateurs ont convié des professionnels et spécialistes du domaine en la qualité de M. Mostaphaoui Abdelkader, commissaire de police, M. Harzallah Nouar, P-DG de l'Eepad, M. Boukara Mébarek, P-DG de Saâd/Vorax, et M. Grar Younès, P-DG de Gecos. Le choix du thème n'est pas fortuit puisqu'il est étroitement lié à l'actualité sécuritaire algérienne. Initialement centré sur une seule problématique qui était de dire si Internet est une avancée technologique ou un instrument d'atteinte aux libertés, le débat s'est finalement élargi et a débouché sur un réel état des lieux de l'Internet en Algérie. Internet, un instrument de la coopération policière ? Le commissaire Mostaphaoui répondra par la négative. “La police privilégie l'utilisation de réseaux sécurisés. Certes, nous utilisons l'Internet pour tenter de tracer les terroristes qui utilisent cette technologie pour recruter, mais aussi pour communiquer entre eux ou transmettre des messages au public et aux Etats. Mais le problème qui se pose pour les opérations de traçage c'est que les sites terroristes sont tous hébergés à l'étranger, ce qui complique les choses et en fait un problème mondial”, déclarera l'officier de police. Dans l'état actuel des choses, il est donc quasiment impossible de remonter jusqu'à la source à partir d'un site hébergé à l'étranger, le plus souvent par des serveurs gratuits. “Il faut savoir que la création d'un site Internet ne demande que 3 minutes et que ce sont des millions de sites qui se créent tous les jours, ce qui rend la tâche du contrôle de leur contenu très difficile. Il est plus facile de tracer l'origine d'un site hébergé par un serveur payant, il suffit de retrouver l'itinéraire de la transaction financière”, précisera M. Boukaba. Et pour répondre à l'officier de police, ce dernier ajoutera qu'“il existe des moyens technologiques de contrôle, par exemple les mouchards à placer au niveau des providers ou encore les cyber-policiers dont la mission consiste à participer aux nombreux forums de discussion afin de recueillir le maximum d'informations, ce qui ferait d'Internet un instrument effectif de la coopération policière”. M. Grar renchérit en évoquant le sommet de la société d'information qui s'est tenu en 2005 en Tunisie et au cours duquel de longues discussions et négociations ont porté sur les moyens de limiter l'étendue de l'Internet. “C'est un défi pour tous les gouvernements qui se trouvent face à une révolution technologique dont il faut contrecarrer les effets néfastes et il existe des moyens que l'Algérie doit acquérir pour protéger ses intérêts. Lorsque le GIA a mis en ligne le premier communiqué, la question de permettre ou pas l'utilisation de l'Internet a été posée en haut lieu. La solution ne réside sûrement pas dans l'interdiction de l'utilisation de cet outil, mais certains éléments de réponse peuvent être copiés puisqu'ils existent dans les pays développés”, dira-t-il. Ce dernier enchaînera sur l'absence d'un cadre réglementaire qui régirait cette utilisation, notamment en ce qui concerne les cybercafés. “Il existe 7 000 cybercafés en Algérie, la plupart du temps gérés par des jeunes qui manquent d'informations et de moyens de protection. Il est urgent d'ouvrir le débat avec ces jeunes quant à la responsabilité de la bonne utilisation de cet outil”, a-t-il ajouté. Le sondage d'Al-Jazzera C'est probablement à la suite de cet événement largement médiatisé que cette rencontre a été organisée. Il était donc impossible de ne pas en parler. C'est M. Boukaba qui en parlera en premier. “Nous avons tous été choqués par ce sondage, mais avec du recul, ceci n'a rien apporté de négatif, bien au contraire, cet événement a servi à resserrer les rangs puisqu'il a été largement condamné. Et si tout le monde avait participé à ce sondage, je suis sûr que les résultats auraient été nettement différents, ce qui prouve encore une fois que le réflexe Internet n'est pas acquis par tout le monde”, a-t-il déclaré. M. Boukaba, approuvé par ses voisins de table, enchaîne sur la nécessité et l'urgence pour les pouvoirs publics de définir une réelle stratégie en matière d'information et de créer un cadre organisationnel. “Il faut sortir de l'étape défensive et passer à l'étape offensive, car contrôler c'est jouer au jeu du chat et de la souris”, a-t-il ajouté. L'Internet, quels utilisateurs et quel contenu ? Il faut savoir qu'en Algérie, l'utilisation de l'outil informatique est plus une affaire de jeunes. Même si les seniors s'y mettent de plus en plus, les jeunes restent les plus gros consommateurs. Mais, l'Internet sans mode d'emploi, c'est une ouverture vers l'importation de toutes les formes de dérive, il faut donc sensibiliser l'utilisateur. Le commissaire Mostaphaoui évoquera cet aspect : “Il faut sensibiliser les jeunes aux avantages de l'Internet, mais aussi à ses dangers, notamment dans les écoles. Mais la sensibilisation ne suffit pas, il faut également mettre à la disposition des parents, à la maison, les moyens techniques d'exercer un contrôle sur l'utilisation de l'Internet par leurs enfants.” Les trois professionnels de l'Internet ont, en plus de parler de sensibilisation, mis le doigt sur un problème de fond qui est le contenu de l'Internet. “Aujourd'hui, les jeunes ont une utilisation très réduite de l'internet et ce, à cause du manque de contenu”, dira M. Grar qui citera l'exemple du gouvernement mexicain qui a lancé une opération de même type que Ousratic, destinée aux enseignants qui, en contrepartie de l'acquisition d'un PC sont tenus de mettre en ligne leurs publications afin d'enrichir le contenu local, mais aussi de familiariser cette génération papier-stylo aux nouvelles technologies et être en phase avec la nouvelle génération. Mais ce qui manque en Algérie, c'est un contenu commercial et financier. Pour M. Harzalah, “il manque un contenu commercial, et pour le mettre en place, il faut une sécurisation plus importante, d'où la nécessité de créer un organisme de certification, doté de tous les moyens juridiques et techniques qui permettent de rassurer l'utilisateur”. Les entreprises de création de contenu sont les providers (ISP). En Algérie, il n'y en a que cinq. M. Boukaba explique pourquoi : “En 1999, l'Algérie comptait environ 100 ISP, aujourd'hui, il n'y en a plus que 5, ces entreprises disparaissent pour des raisons économiques, le monopole exercé par Algérie Télécom les met en danger de disparition. Si l'on compare les prix pratiqués à l'échelle internationale et ceux pratiqués par AT, on voit qu'AT nous fait payer à nous provider un prix 50 fois plus élevé que ce qu'il devrait être. Il est urgent que les pouvoirs publics se penchent sur ce problème afin de le solutionner, car depuis 1999 une évolution normale aurait donné lieu à 5000 ISP, non pas à 5 seulement”. Amina Hadjiat