Ban Ki-moon a pleuré. Le secrétaire général de l'ONU n'a pas encore séché ses larmes à Alger qu'il ordonne une “commission d'enquête indépendante” sur les attentats d'Alger du 11 décembre. Stigmatisant ainsi l'Etat algérien en évitant de mettre en avant les carences onusiennes dans cette affaire. On dit que le SG de l'ONU a accroché le drapeau bleu de l'ONU, récupéré dans les décombres de Hydra, en l'encadrant dans son bureau de New York. Ce geste symbolique, autant que sa compassion non retenue le 18 décembre lors de sa venue à Alger, s'effondrant en larmes devant les familles des victimes, ont produit leur effet. Ban Ki-Moon avait montré une telle solidarité qu'elle en devenait suspecte. Car, moins d'un mois plus tard, il annonce la création d'une commission d'enquête “indépendante”, replongeant l'Algérie, dix ans plus tôt, lorsqu'elle se débattait avec le panel onusien Suarès venu enquêter sur les massacres de 1997. À l'époque, l'ONU était venue enquêter sur la notion du “qui tue qui” ?”, arguant que les coupables des massacres de Bentalha et Raïs pouvaient ne pas être les terroristes du GIA. En 2007, on s'interroge déjà sur l'argument d'une telle enquête onusienne en sachant que les auteurs se sont eux-mêmes identifiés, avec les photos et les aveux des kamikazes avant l'attaque. Donc, pas de place au “qui tue qui ?”. D'où la perplexité sur les motivations réelles de cette enquête “indépendante”. Les avertissements de Babacar Au stade actuel des investigations, rien ne laissait présager d'un tel scénario. L'attentat de Hydra, mais également celui de Ben Aknoun nettement moins médiatisé, avait provoqué une mobilisation internationale de tous les instants. Venant de Bali, transitant par Paris, Ban Ki-Moon arrive une semaine après à Alger pour constater les dégâts et faire quelques déclarations usuelles sur la lutte antiterroriste internationale. Mais avant d'aboutir à la mise en place de cette “enquête indépendante”, le Sud-Coréen a eu à vérifier, sur place à quel point le dispositif de sécurité du siège de l'ONU à Alger était dérisoire. Et qu'il incombait aussi bien à ses services, qu'à l'Etat algérien, de le sécuriser. Il faut dire que la polémique a fait rage au sein du team de l'ONU en Algérie suite à ces attentats. Sur les 145 personnes travaillant pour l'ONU (115 Algériens et 30 étrangers), 17 ont été tuées parmi le personnel des Nations unies dont 14 Algériens et 3 étrangers. Parmi ces derniers, ce trouvait Babacar Ndiaye, Sénégalais, fraîchement débarqué à Alger et qui s'est immédiatement interrogé sur la légèreté du dispositif de sécurité du siège de l'ONU, s'en référant même à sa direction. Les inquiétudes du responsable du département de la sécurité ont-ils été relayés ? Pourquoi l'ONU n'a pas pris ses propres dispositions ? Il faut admettre que les responsables de la sécurité de l'ONU n'ont probablement pas trop pris au sérieux les menaces du GSPC contre les représentations diplomatiques. Quand les Français se “bunérisent”, les Américains construisent une nouvelle ambassade inviolable et les Britanniques déménagent à l'hôtel Hilton juste pour éviter les voitures piégées, les responsables onusiens ne prennent aucune mesure concrète. Pis, ils n'en demandent aucune, si ce n'est la fermeture d'une rue de Hydra. Une sécurité dérisoire au siège d'Alger Ainsi, les Onusiens à Alger ont fait avec les moyens du bord. Lors de la réunion regroupant les équipes valides de l'ONU à Alger, le 13 décembre dernier, en présence de l'envoyé spécial de Ban Ki-Moon, les accusations ont fusé de tous les côtés. Certains employés de l'ONU ont mis en avant les mesures primitives de sécurité et le stationnement quasi-facile de véhicules non onusiens à côté du siège du Pnud ou du HCR à Alger. Tout le monde savait que les attentats kamikazes étaient possibles. Est-ce par faute de budget que l'ONU n'a pas pu déménager dans un siège, en dehors de la capitale, hypersécurisé, comme l'a relevé un des participants à cette réunion devant le silence gêné de l'envoyé de Ban Ki-Moon. Alors que le GSPC comparait le quartier de Hydra à la “zone verte” de Bagdad, le siège algérois de l'ONU souffrait d'un déficit visible de contrôle et de surveillance. Pourtant, l'ONU avait promis de sécuriser ses représentations dans les pays où Al-Qaïda avait menacé de commettre des attentats suite au carnage commis contre le siège onusien en Irak, en août 2003, dans lequel périt le Brésilien Sergio Vieira de Mello, favori à l'époque à la succession de Kofi Annan. La commission d'enquête avait relevé de “graves déficiences” en matière de sécurité. Autant dire, des conclusions qui n'ont pas besoin d'experts internationaux pour les confirmer concernant Alger. Quant aux menaces, l'ONU se réfugie derrière l'argument : “Autant que l'on sache à présent, il n'y a pas eu d'avertissement à New York concernant l'attentat d'Alger”. En un mot, on ne se doutait de rien ! Paranoïa diplomatique Ban Ki-moon s'abrite ainsi derrière la “responsabilité” de l'Etat algérien. Certes, l'Algérie se doit de sécuriser les sites, mais à l'extérieur des bâtiments, du moment que le droit international ne lui confère aucune intervention à l'intérieur des chancelleries. Parfois, le MAE algérien reçoit des demandes inconsidérées en termes de sécurisation comme la fermeture de rues très fréquentées, la construction de tunnels, ou la permission de ramener des conteneurs du port d'Alger pour doubler la capacité de résistance des murs d'enceintes de certaines ambassades. Face à l'obsession de la sécurité des diplomates, l'Algérie se devait à chaque fois de répondre, faute de se voir accusée de ne pas assez protéger les étrangers sur son sol. Même si ces étrangers prennent, souvent, des risques considérables quant à leur propre vie en allant dans des séjours en montagne, au Sahara ou en villégiature en tentant de semer les escortes de sécurité algériennes, s'exposant à des attaques kamikazes contre leur convoi ou à des kidnappings. En décidant de mettre en place cette “commission d'experts” en faisant fi de l'enquête algérienne, l'ONU a lancé un signal négatif quant à la lutte antiterroriste. Alger, qui fut l'un des premiers artisans du comité de lutte antiterroriste de l'ONU, bien avant le 11 septembre, n'a jamais reçu “d'assistance” de la part de l'ONU dans le domaine, sous aucune forme que ce soit. Encore moins durant l'embargo sur les armes qui frappa Alger. Mais c'est cette propension à tenter de se blanchir des insuffisances propres à l'ONU que Ban Ki-moon vient de commettre un impair vis-à-vis de l'Algérie. Il s'agit de défendre l'image et la crédibilité de l'ONU, du moment que les familles algériennes touchées par le drame ne peuvent pas interpeller l'ONU devant une juridiction internationale, car le droit universel exclut les Nations unies de toute poursuite ou dédommagement moral ou matériel envers son personnel. Ban Ki-moon s'est finalement appuyé sur les conclusions de l'enquête menée par le secrétaire général adjoint à la sécurité, David Veness, un Britannique présenté comme un “expert” reconnu, mais dont le passé sulfureux laisse présager des doutes quant aux conclusions du rapport qui a conduit à une telle décision. David Veness n'est autre que l'ancien assistant de l'ex-chef de Scotland Yard, qui avait mené l'enquête sur la mort de Diana. Veness était accusé par le père de Dodi Al-Fayed, le milliardaire égyptien, d'avoir dissimulé des preuves à la justice britannique quant aux “menaces de mort” dont avait fait part Diana à Scotland Yard, pour dédouaner cette dernière dans son incapacité à protéger la princesse. “Une spécialité” qu'on risque de retrouver dans l'enquête sur les attentats d'Alger. Mounir B.