Les participants au “Davos algérien” pensent qu'il est temps que la relation Etat-opérateur économique devienne “vertueuse”. La confiance doit être au centre de cette relation. Tout comme les stratégies d'entreprises, les politiques gouvernementales de développement devront-elles intégrer les nouvelles données du contexte de mondialisation ? En mettant en œuvre de nouvelles règles de gouvernance du territoire, les Etats peuvent devenir des vecteurs essentiels de co-production de valeur avec les entreprises. Le 2e symposium d'El-Oued, organisé par l'Institut supérieur de gestion et qui a vu la participation des experts de la Banque mondiale, d'économistes de très haut niveau, de chefs d'entreprise, d'anciens ministres, et enfin l'actuel ministre du Commerce, M. Boukrouh, s'est attaché précisément à cerner les contours de ce codéveloppement qui vise la création de la valeur dans le cadre de la libéralisation des marchés. La question est d'autant plus importante que l'Algérie, qui a déjà signé l'accord d'association avec l'Union européenne, s'apprête à adhérer à l'OMC. Du coup, l'inquiétude des chefs d'entreprise est légitime. Ils ont tenu à l'exprimer, tout en rappelant qu'ils n'étaient pas contre le principe d'ouverture de notre économie. C'est que sur le terrain, les pouvoirs publics sont confinés dans un attentisme qui, à court terme, risque d'être fatal aux entreprises algériennes. Absence de stratégie de développement, absence de politique vigoureuse de mise à niveau, difficultés d'accès aux crédits, le foncier industriel, autant de contraintes qui, aujourd'hui, fragilisent l'entreprise algérienne au lieu de la renforcer, face à la concurrence étrangère. Le poids de l'Etat reste encore prépondérant dans l'économie. Les entreprises cherchent les voies de leur restructuration pour s'affranchir des pesanteurs administratives. Les pouvoirs publics, qui comprennent le caractère inéluctable des transformations, peinent à trouver les voies les plus efficaces pour conduire les changements indispensables. “C'est là l'évidence des ingrédients qui incitent à se questionner sur les possibilités d'établir des relations vertueuses à mettre en place entre l'Etat et les entreprises”, estime Brahim Ben Abdeslem, directeur général de l'ISG. Le rapport n'est pas simple. Il est même, de par sa nature, conflictuel, et en Algérie un peu plus. Francis Ghilès a parlé du jacobinisme “très fort” de l'Etat algérien. “On se méfie de l'entreprise, de celui qui gagne de l'argent”, soutient-il. A ce titre, pour Djillali Mehri :“Il faut que les investisseurs et les promoteurs d'un côté, et l'Etat de l'autre, cessent de pratiquer la réticence, voire l'hostilité”. “Il est préférable que l'on mette fin à une attitude de défiance réciproque et d'imaginer ensemble, dans une ambiance de compréhension, de nouvelles formes de coopération et de codéveloppement”. La question est d'autant plus urgente que Gilles Garcia de la Banque mondiale a dressé un tableau sombre du climat d'investissement en Algérie. Elle est classée au 111e rang par la Cnuced en matière d'attractivité des IDE. Entre 1999 et 2001, l'Algérie n'a reçu que 700 millions de dollars d'investissements directs étrangers. Selon une enquête sur le secteur privé, qui rentre dans le cadre d'une étude beaucoup plus globale relative au climat d'investissement, élaborée en prévision de la mise en œuvre du CAS, 40% des entreprises sont à la recherche de terrains. Plus de 50% de terrains viabilisés sont inoccupés. La plupart des entreprises financent leur investissement sur fonds propres. Le délai moyen pour obtenir une ligne électrique est de 133 jours. Il est de 216 jours pour une ligne téléphonique ; pour obtenir un registre du commerce, il faut 121 jours. 14 à 18 documents sont demandés. En Tunisie, cette opération ne dure qu'une demi-journée. Ce constat, M. Medelci, ancien ministre des Finances, ne le partage pas, à juste titre, en ce qui concerne les IDE. Il rappellera que la vente de licence GSM a rapporté à l'Etat plus de 350 millions de dollars. Durant 10 ans, en raison du risque pays, l'Algérie a perdu (payement des risques d'assurance) plus de 10 milliards de dollars. En tout état de cause, M. Garcia estime que l'Etat se doit de réduire son intervention dans le domaine de la production des biens et services. Il préconise la nécessité de mettre en place les institutions du marché. Il annonce, par ailleurs, que le document sur le climat de l'investissement en Algérie sera adopté par la Banque mondiale, le 29 de ce mois. De son côté, le ministre du Commerce reconnaît les contraintes énumérées par le représentant de la Banque mondiale, mais il refuse la comparaison avec les Tunisiens et les Marocains. “L'Algérie, estime-t-il, a vécu une décennie de terrorisme”. Il annonce, par ailleurs, une série de réformes qui toucherait les mécanismes censés encourager les exportations hors hydrocarbures. Promex va devenir une agence de promotion des exportations. Il y aura la création d'un conseil national des exportateurs, présidé par le Chef du gouvernement et la gestion du Fonds de promotion des exportations sera revue. Elle sera confiée aux opérateurs eux-mêmes. A El-Oued, il a été beaucoup question de la réforme de l'Etat, du développement régional. Jean-Paul Larcon, professeur de stratégie à HEC Paris, a été très pédagogue sur ce point. Pour lui, la dynamique régionale, l'entreprise locale et l'appropriation de nouvelles technologies sont les véritables facteurs de réussite. “L'Etat peut certes être envisagé par l'échelon central, mais il ne peut vivre que s'il est porté par une dynamique régionale”, souligne-t-il. L'initiative, ajoute-t-il, doit venir de la base, en associant toutes les forces locales. Dans la foulée, Mourad Medelci, ancien ministre, souhaite l'ouverture des débats politiques. “Nous avons besoin d'une vie politique animée”, lance-t-il. L'ISG, à travers le symposium d'El-Oued, a posé la problématique de la relation entre l'Etat et l'entreprise, de la nécessité de mettre en place des mécanismes de dialogue efficaces. Les participants ont souligné qu'il était possible que l'Etat et l'entreprise coproduisent de la valeur. Non seulement il est possible mais ils doivent le faire, pour peu qu'un climat de confiance, de dialogue se mette en place. M. R.