Pauvre : qui manque du nécessaire ou n'a que le strict nécessaire. Nécessiteux : qui est dans le dénuement ou manque du nécessaire. Ce sont les définitions du Robert de ces synonymes qui ne le sont pas pour Ould-Abbès. Devant des enfants rassemblés en village de vacances, le ministre de la Solidarité a réitéré sa vérité sur la pauvreté dans le pays. Il n'y a que 5% de pauvres en Algérie. Soit près d'un million et demi de personnes. Soit quelque 250 000 familles, à raison de six membres par ménage ! Tout baigne donc. Et de réitérer sa carte de la pauvreté : “Il n'y a plus que 46 communes pauvres”, “très pauvres”, précise-t-il, en fait. Il avait dit la même chose, le 25 janvier 2007 : 46 communes pauvres. Là au moins, le ministre reconnaît qu'en une année, nous n'avons pas beaucoup progressé. En 2005 déjà, Ould-Abbès niait le fait de la pauvreté : “Il n'y a que des nécessiteux”, déclarait-il à la radio, le 6 octobre de cette année-là. C'est le mode de calcul périmé de la Banque mondiale qui estime qu'on est pauvre à moins d'un dollar par jour, qui fait qu'on confond les “nécessiteux” avec les “pauvres”. Comme quoi, en Algérie, si vous avez un dollar (70 dinars) par jour, vous n'êtes pas encore pauvre. Vous n'êtes que nécessiteux. Dans le discours magique, il suffit de changer de terme pour changer de réalité. Du moins, les adeptes de l'illusionnisme verbal le croient-ils. Pourtant, le très algérien Conseil national économique et social estimait, dans son rapport du 15 février 2007, que l'Algérie comptait 16,6% de pauvres en cette année 2005. Selon un rapport des services de sécurité algériens, un Algérien sur trois vivait sous le seuil de pauvreté, toujours en 2005 (Le Soir d'Algérie du 12 mai 2006). Et le Pnud, qui n'a pas de raison de nous déclasser injustement, nous installe régulièrement au-delà du 100e rang sur une liste de pays qui en compte 177. Aujourd'hui, les personnes âgées nécessiteuses, au sens du ministère de la Solidarité, sont au nombre de 680 000, c'est-à-dire plus de 2% de la population ! Elles perçoivent 1 000 dinars de pension et on compte porter leurs pensions à 3 000 dinars, selon le ministre. Si l'on ajoute les handicapés à 100% qui touchent 4 000 dinars depuis juillet dernier, cela fait trop de nécessiteux. Qui ne sont donc pas pauvres. Le ministre s'exprimait dans une atmosphère de monde féerique où des artistes faisaient des numéros de magie à l'intention d'un groupe d'enfants nécessiteux ou handicapés. Mais le monde réel était dehors, à chaque coin de rue, à chaque détour de route. Il y a tant de harragas potentiels qu'on crée des brigades de gendarmerie ad hoc ; il y a tant de SDF que l'Etat s'est accommodé de leur présence sur la voie publique ; il y a tant de chômeurs que les autorités assument le gardiennage sauvage de parkings ; il y a tant de mendiants que d'autres en ont fait un métier ; il y a tant de privations que la prostitution a affecté l'adolescence ; il y a tant d'espoir que le suicide se banalise… Et avec ça, et avec 110 milliards dans les caisses — nouveau chiffre aussi —, on pinaille sur des histoires de définition et d'indices sur une misère qui crève les yeux. M. H. [email protected]