Le nouveau locataire du Kremlin, Dmitri Medvedev, a devant lui l'énorme tâche de réformer le plus grand pays du monde et de gérer au mieux le scénario inédit en Russie d'une direction bicéphale. Vladimir Poutine, son successeur, n'a cesse de lui rappeler qu'il lui doit tout, y compris les 70% des voix à l'issue d'un scrutin en réalité soigneusement orchestré. Plus est encore, il ne cache pas sa détermination de déplacer le centre du pouvoir du Kremlin à la Primature dont il va se charger. Medvedev aura en effet, à ses côtés, ou face à lui, un Premier ministre qui aura été le numéro un pendant huit ans et qui, visiblement, n'a pas l'intention de jouer les seconds rôles. Poutine a martelé le 14 février, lors de ses adieux du Kremlin, que le gouvernement serait “l'Exécutif suprême” ! Les luttes intestines entre clans, feutrées comme du temps de l'URSS, ne font que commencer, soulignent, à cet égard, les analystes. Et ceux-ci ont tendance maintenant à parier que “l'élève”, au départ constamment dans l'ombre de son “maître”, mais bientôt de juré tout-puissant au sommet de l'Etat en vertu de la Constitution et de la pratique institutionnelle russe, en sortira vainqueur. La majorité d'entre eux jugent, en outre, qu'il finira par se démarquer de son mentor en apportant ses propres touches. C'est dans cette perspective que doit être interprété le flot de félicitations de la part des puissances occidentales. De Paris à Washington, les félicitations ont fusé, sans faire mention des conditions du scrutin. La chancelière allemande Angela Merkel, le Premier Ministre britannique Gordon Brown, le président français Nicolas Sarkozy, comme le président de la Commission européenne José Manuel Barroso ont salué l'arrivée d'un nouveau locataire au Kremlin, après des années de relations tendues avec Poutine. À Washington, la Maison-Blanche a affirmé la volonté du président George W. Bush de travailler avec Dmitri Medvedev, qui doit prendre ses fonctions le 7 mai, en invoquant “l'intérêt mutuel” des deux pays à une telle coopération. La République tchèque aura été un des rares pays à regretter des pratiques restrictives pendant l'élection. Sur le plan interne, bien qu'il soit vain, du moins dans une première étape, d'attendre une quelconque démocratisation, telle qu'ardemment espérée l'intelligentsia russe ouverte et un pan des classes moyennes, il faut cependant se garder de prendre pour argent comptant la déclaration de Medvedev de continuer la politique de son prédécesseur. C'est un libéral qui s'est assumé en janvier 2007 au Forum économique de Davos, en Suisse, en lâchant : “La liberté est meilleure que l'absence de liberté.” Du reste, à l'annonce de son élection, les Bourses financières ont applaudi. Lui-même a promis moins de bureaucratie dans l'économie. Dans ce domaine, les défis à relever sont colossaux, avec le risque d'une nouvelle accélération de l'inflation, déjà galopante à 11,9% l'an dernier, lorsque les prix des produits alimentaires seront libérés, en principe le 1er mai, après avoir été bloqués en octobre en vue des législatives de décembre. Tandis que la croissance, autour de 8% en 2007, demeure étroitement liée aux cours du pétrole, dont la Russie est le deuxième exportateur mondial. “La politique du président Medvedev vis-à-vis des milieux d'affaires ira dans le sens du développement de l'activité, de l'esprit d'entreprise et des libertés économiques”, prédit le président de la Chambre de commerce et d'industrie russe, Alexandre Chokhine. Mais son audience se jouera dans la sphère sociale, après avoir été chargé ces deux dernières années au sein du gouvernement des projets nationaux destinés à améliorer les conditions de vie de ses compatriotes, logement, éducation, santé, transport, et à inverser le déclin démographique. D. Bouatta