Au lendemain de l'accord entre Asif Ali Zardari, veuf de l'ancienne Première ministre Benazir Bhutto, et Nawaz Sharif pour former un gouvernement de coalition, la pression monte sur le président pakistanais. Les vainqueurs des élections législatives du 18 février se sont également mis d'accord pour obtenir sans tarder une première séance du nouveau Parlement, chose faite, puisque les nouveaux députés vont se retrouver le 17 mars. Mais, ce qui gêne le plus Musharraf, c'est la revendication de rétablir dans leurs fonctions des juges qu'il avait évincés en automne dernier pour ouvrir la voie à sa réélection par un Parlement à l'époque entièrement à sa dévotion. Musharraf, qui était également à l'époque le patron de l'armée, avait décrété l'état d'urgence le 3 novembre 2007 et, dès le lendemain, avait évincé plus de 60 juges, dont la majorité de ceux de la Cour suprême. Jusqu'alors, le sort des juges évincés, ainsi que l'ex-président de la cour suprême, constituait une pomme de discorde entre Asif Ali Zardari, qui dirige de facto le Parti du peuple pakistanais (PPP), et Nawaz Sharif, président de la Ligue musulmane du Pakistan Nawaz (PML-N). Le PPP semblait s'accommoder de l'idée d'une cohabitation avec Musharraf dépourvu de certains de ses pouvoirs, tandis que Sharif exigeait fermement son départ. S'ils sont rétablis dans leurs fonctions, les juges, parmi lesquels l'ex-président de la cour, Iftikhar Muhammad Chaudhry, qui a croisé le fer avec Musharraf tout au long de l'année 2007 et jusqu'à sa destitution, seraient amenés à se prononcer sur la légalité de la réélection de Musharraf. Face à cette perspective, le président pakistanais tente de prendre ses devants en consultant ses conseillers juridiques à Rawalpindi, importante cité dans la banlieue d'Islamabad. Le président pakistanais compte aussi sur les pressions américaines. Washington, qui a boosté le PPP en vue d'introduire des réformes démocratiques au Pakistan, une puissance nucléaire profondément travaillée par l'islamisme politique et son pendant violent, ne veut pas voir partir Musharraf, son allié dans la lutte contre le terrorisme et dans la géostratégie des Etats-Unis dans la région. Musharraf n'est, d'ailleurs, pas prêt à jeter l'éponge. Il n'a cesse de déclarer depuis la défaite cuisante de son parti qu'il assumera la cohabitation avec l'opposition. Le PPP a obtenu le plus grand nombre de sièges lors des élections législatives du 18 février. Théoriquement, le nouveau chef du gouvernement devrait sortir de ses rangs mais avec son résultat électoral, PML-N devrait avoir plusieurs postes et Sharif exige également des portefeuilles stratégiques. Les deux alliés peuvent mettre à mal l'avenir politique de Musharraf. “Le PPP et la PML-N décident de former un partenariat de coalition ensemble pour un Pakistan démocratique afin d'appliquer le mandat confié par le peuple pakistanais. Les responsables ont la ferme opinion que les partenaires de la coalition sont prêts à former le gouvernement”, a averti Sharif en lisant une déclaration conjointe, après la signature de leur accord. Ils doivent encore s'accorder sur le partage des portefeuilles dans le gouvernement de coalition. Musharraf, qui s'était dit prêt à travailler avec une majorité à l'issue des élections, doit également gérer une situation sécuritaire des plus délétères. Le Pakistan a été frappé hier par deux nouveaux attentats suicide qui ont fait au moins 25 morts, à Lahore, la grande ville de l'est du pays. L'attentat suicide à la voiture piégée a visé un bâtiment qui abrite une unité spéciale dédiée aux enquêtes antiterroristes. Une vague sans précédent d'attentats ensanglante que touche le Pakistan depuis des mois, revendiqués ou attribués aux militants islamistes proches d'Al-Qaïda et des talibans. Depuis le début 2007, soit en 14 mois, près de 1 065 personnes, dont de nombreux civils, ont été tués dans 118 attentats, la plupart perpétrés par des kamikazes. D. B.