La mission, dont il est chargé par le chef de l'Etat pour conduire une délégation à New Delhi, ne peut échapper à des lectures politiques dans un contexte propice aux spéculations. “Le président de la République, M. Abdelaziz Bouteflika, a chargé M. Ahmed Ouyahia, ancien Chef du gouvernement, en qualité de représentant personnel, de conduire la délégation algérienne au Sommet Inde-Afrique, qui se déroulera à New Delhi les 8 et 9 avril.” L'information, tombée dimanche soir et reprise par le JT de 20h, a surpris plus d'un. “M. Ahmed Ouyahia, ancien Chef du gouvernement”, cette appellation, rien que celle-ci, a donné lieu à toutes les lectures possibles au sein de l'opinion, curieuse de savoir ce qui s'est dit entre les deux hommes qui se sont entretenus, en tête-à-tête pendant plus de trois heures au siège de la présidence de la République. Que s'est-il passé exactement et pourquoi Bouteflika a rappelé Ouyahia ? Enfant du système et commis de l'Etat par excellence, Ouyahia, “ancien Chef du gouvernement”, a toujours clamé haut et fort son soutien au chef de l'Etat au lendemain de sa “démission” de la chefferie du gouvernement en mai 2006. Un départ soutenu, précipité et revendiqué par le FLN de Belkhadem et par le MSP de Soltani. “Je remercie le président de la République pour avoir placé sa confiance en ma personne et je reste disponible au service du pays”, “je ne fais pas de l'opposition” et “je ne me présenterai pas candidat à la présidence de la République si Bouteflika se présente”, Ouyahia a également et toujours su rester à l'écart des rumeurs et répondu, quand l'opportunité lui est offerte, que Bouteflika est seul maître à bord, y compris en ce qui concerne la révision de la Constitution. “C'est au chef de l'Etat de se prononcer”, a-t-il répété à chaque sortie. Lors de leur entretien, “les deux hommes ont longuement discuté de la situation du pays et des nouvelles donnes internationales”, nous dit-on. Selon des sources concordantes, Bouteflika a loué les qualités de l'“ancien Chef du gouvernement” avant d'aborder le sujet du jour : le représenter personnellement en conduisant une délégation de plus de 100 personnes, les 8 et 9 avril à New Delhi, en Inde, au Sommet Inde-Afrique. Du coup, toutes les hypothèses et lectures sont permises dès que Bouteflika n'a pas appelé Belkhadem (chargé de coordonner l'action du gouvernement), encore moins le ministre d'Etat Soltani, qui ont précipité le départ d'Ouyahia, pour le représenter personnellement à cet important sommet. “Bouteflika a tout simplement choisi Ouyahia parce qu'il a un gabarit suffisant pour assister à un tel événement mondial. Non seulement il maîtrise les mécanismes du Nepad, mais il a déjà représenté Bouteflika dans plusieurs missions en Afrique au début des années 2000. Ouyahia n'a jamais quitté le pouvoir au sens que vous le comprenez. Et sur le plan international, il est le mieux indiqué pour représenter un chef d'Etat. Il ne porte aucune étiquette sinon celle d'un homme d'Etat. C'est un choix tout à fait ordinaire à notre vue”, soutient-on dans l'entourage d'Ouyahia. À première vue, il est clair que le chef d'Etat a “fait le vide autour de lui” en écartant un technocrate au point de qualifier certains de ses ministres de “menteurs” en constatant les anomalies flagrantes et les retards accusés sur les grands chantiers dont l'échéance arrive bientôt à terme. En ce sens, certains observateurs n'hésitent pas à souligner que Bouteflika “a regretté” Ouyahia au point où toutes les mises en garde de l'“ancien Chef du gouvernement” contre le gouvernement Belkhadem sont prises en considération par Bouteflika. Pis, cette mission coïncide avec le 8 avril, date de la réélection de Bouteflika pour un second mandat, et intervient également à quelques mois seulement de l'annonce solennelle pour la révision de la Constitution. Ces ingrédients, qui s'ajoutent à d'autres, laissent également libre lecture et spéculation dans le sérail comme dans le milieu politique. Et ce ne serait pas le fruit du hasard si un chef d'Etat, sur le point de briguer un 3e mandat, fait appel à un “ancien Chef du gouvernement”, président d'un parti politique. Simple question alors : a-t-on aussi menti à Bouteflika en mai 2006 pour sommer Ouyahia de déposer sa démission sous prétexte qu'il se prépare à la présidence de la République ? Ce rappel ne s'inscrit-il pas en droite ligne des prochains changements que compte opérer Bouteflika ? Qui a alors conseillé Bouteflika pour rappeler Ouyahia au moment où les langues se délient autour du poste de vice-président ? Autant d'interrogations, et bien d'autres, aussi sibyllines que légitimes que le commun des Algériens se pose sans avoir la moindre réponse “officielle”. FARID BELGACEM