Ce 3 Mai est une date précieuse, elle célèbre, depuis la proclamation en 1993 par l'Assemblée générale des Nations unies, une Journée mondiale pour la liberté de la presse. On est en droit de se poser, en cette occasion, des questions. Qui nous parle objectivement en Occident de la politique inique de colonisation féroce menée par Israël, dernier apartheid des temps modernes, assassinats quotidiens, y compris de civils, femmes et enfants, démolition de maisons, destruction de terres agricoles, sanctions collectives, blocage des voies de communication ? Qui nous parlent tout aussi objectivement, sans amalgames, de tous les extrémismes politico-religieux et leurs violences aveugles, des dépassements des régimes arabes archaïques, qui refusent la démocratie, emprisonnent, limitent le droit de parole et monopolisent les médias lourds, à l'ère des satellites et des NTIC ? Qu'elles prennent encore la forme d'interdits, de discrimination ethnique et religieuse, d'entraves à la liberté d'expression ou d'association, les atteintes, par delà leurs degrés et formes propres, ont un point commun : elles constituent de graves manquements à tous les textes internationaux relatifs aux droits des peuples et de l'homme. Les pays arabes et musulmans sont victimes de surcroît de la politique des deux poids, deux mesures, de la propagande du choc des civilisations, des délires islamophobes et, en même temps, sont coupables pour la plupart de maintenir leurs citoyens dans un état de contraintes. Les relations internationales ne sont pas démocratiques et trop de pays arabes subissent et se complaisent au lieu de se réformer. La liberté de la presse est un acquis universel qu'il faut assumer de manière responsable, sans naïveté, ni lassitude. En cette journée de la liberté de la presse, il nous faut souligner trois exemples positifs qui montrent que tout n'est pas sombre. Premièrement au sujet de l'Irak. À ceux qui prétendaient en 2003 que “le renversement de la dictature a mis un terme à trente années de propagande officielle et ouvert une ère de liberté nouvelle, pleine d'espoirs et d'incertitudes, pour les journalistes irakiens”, l'immense majorité des journalistes de par le monde répondent depuis que nous assistons à un bourbier pire que la situation de la guerre du Vietnam. La popularité de l'administration américaine et de son président est la plus basse de l'histoire des USA, malgré tous les matraquages. Nul ne peut nier l'impasse et les drames que vit au quotidien le peuple irakien. Personne n'est dupe des enjeux et visées. Malgré les moyens de propagande tous azimuts, l'opinion publique internationale reste opposée à l'occupation de l'Irak et sait que tous les prétextes avancés sont faux et mensongers. Deuxièmement, au sujet de la guerre relative aux rapports entre les civilisations, notamment entre l'Occident et le monde musulman. À une campagne de presse qui promeut un livre islamophobe vulgaire, édité récemment, et qui prétend que les sciences et les cultures arabes et islamiques n'ont rien apportés à l'Occident, un collectif international de plusieurs dizaines de savants et chercheurs occidentaux en histoire et philosophie du Moyen Âge ont répondu dans les médias avec un haut sens de l'impartialité et de la rigueur. Ils relèvent les incohérences, les graves erreurs de contenu ou de méthode de l'auteur. Ils dénoncent, preuves à l'appui, un exposé de seconde main de parfaite banalité. Ils constatent que des pans entiers de recherches et des sources bien connues sont effacés, afin de permettre à l'auteur manipulateur de déboucher sur des thèses qui relèvent de la pure idéologie. La critique des sources par cet auteur faussaire est dissymétrique : les chroniqueurs occidentaux sont pris au pied de la lettre, tandis que les sources arabes sont l'objet d'une hypercritique. Le procédé du “deux poids, deux mesures” est récurrent. Les chercheurs qui rétablissent la vérité confirment ainsi que la démarche de ce pseudo historien, comme celle de l'auteur du choc des civilisations, n'a rien de scientifique : elle relève d'un projet idéologique aux connotations politiques inacceptables. Troisièmement, la crise alimentaire mondiale. Au vu de la montée des prix des produits agricoles de base comme le blé et le riz, l'immense majorité des médias dans le monde reconnaît que cette situation s'aggrave du fait des contradictions du système économique mondial. Des aides et des structures de veille sont mises en place. Personne ne peut nier que les inégalités dominent, que les producteurs n'arrivent pas à exercer leurs droits et sont dominés par des puissants cartels de multinationales. La prise de conscience est le fruit du travail médiatique au Nord comme au Sud. Certes, des facteurs objectifs sont aussi soulignés, comme la démographie et les changements climatiques, mais l'insécurité alimentaire, pour au moins la moitié des habitants de la planète, est une responsabilité politique. Les médias jouent un rôle majeur pour l'action d'alerte. La communication et le dialogue entre les différents peuples et entre membres de la société ne s'établissent pas forcément de manière naturelle. Nous avons besoin des médias pour construire la démocratie, informer et former. La nature a horreur du vide, les interdits, les mutismes et les fuites en avant favorisent toutes les dérives, il est urgent d'encourager la société civile à s'exprimer pacifiquement, sans ne jamais porter atteinte à la dignité d'autrui. Car les actes égoïstes, diffamatoires et les discours infondés ruinent la confiance et participent à la rupture des liens sociaux. La société du savoir et la mondialisation exigent une société forte de ses moyens de communication et de la pratique libre et responsable de l'information. Sans la confiance accordée aux journalistes et aux citoyens aucune société ne pourra relever ces défis. Mustapha chérif Ancien ministre et ambassadeur