Le dossier pétrolier demeure d'une extrême importance en Algérie. De l'utilisation de l'argent des hydrocarbures jusqu'à l'effort de développement qu'implique la rente pétrolière, Abdenour Keramane explique les enjeux ainsi que les défis qui attendent le pays. Nous reproduisons ici la première partie de sa réflexion intitulée : “Pétrole et développement des pays producteurs”, parue dans le n°26 de la revue Medenergie, de ce mois de mai. On a souvent entendu des dirigeants politiques, des intellectuels, des économistes, des journalistes, ou de simples citoyens, s'interroger sur cette fabuleuse richesse naturelle que sont les hydrocarbures et sur son rôle dans le développement des pays producteurs en la considérant, selon les circonstances et le point de vue de chacun, de chance ou de malédiction pour le pays qui la détient. Dans certains pays, on est même allé jusqu'à imputer à “la manne pétrolière” (ou, comme l'appellent souvent les économistes, “la rente pétrolière” avec une intonation plutôt péjorative), la source d'une certaine paresse, d'une aversion pour l'effort, voire d'une incapacité structurelle et culturelle à atteindre un niveau de développement acceptable et légitimement justifié par la détention de cette richesse naturelle. Pourtant, ce sont deux Etats pétroliers, le Texas et la Californie, qui sont les plus riches des cinquante-et-un Etats qui composent les Etats-Unis d'Amérique, eux-mêmes le pays le plus riche et le plus puissant du monde. De même qu'en Europe, des pays pétroliers et gaziers comme les Pays-Bas, la Grande-Bretagne ou la Norvège, figurent parmi les plus riches et les plus développés au sein de l'Union européenne. Ce n'est, malheureusement, pas le cas des producteurs d'hydrocarbures dans les pays en développement, qu'il s'agisse du Moyen-Orient, de l'Afrique, de l'Amérique latine ou de l'Asie, à l'exception de la Malaisie qui semble être sur le bon chemin pour devenir une puissance émergente. Certes, il ne faut pas sous-estimer les progrès accomplis par certains pays parmi les gros producteurs. Ainsi, le Royaume d'Arabie Saoudite, naguère en grande partie désertique, s'est doté au cours des trente dernières années d'une infrastructure civile, industrielle, agricole et même d'une industrie pétrochimique de tout premier ordre. Dans les Emirats du Golfe, on est frappé par la transformation des principales villes, comme Dubai, Abou Dhabi ou Qatar, qui n'étaient naguère que de grandes bourgades rurales au milieu du désert. Cependant, malgré quelques avancées notables, le développement dans ces derniers pays continue à dépendre exclusivement des recettes pétrolières et de l'évolution du prix du baril de pétrole. La part des recettes pétrolières reste prépondérante dans le PIB des pays producteurs et, pour certains, elle n'a pas évolué depuis trente ans ! Il faut donc se rendre à l'évidence et reconnaître que la quasi-totalité des pays producteurs en développement n'a pas réussi son challenge : passer du statut d'économie rentière au rang d'une puissance industrielle disposant de la capacité à assurer un développement immédiat satisfaisant, juste et diversifié, tout en préservant l'avenir des générations futures. C'est malheureusement le cas de l'Algérie qui dispose de ressources moyennes mais relativement suffisantes en hydrocarbures, en gaz naturel plus particulièrement. Dès les premières années qui ont suivi son indépendance, le pays a pu, dans un élan collectif et consensuel, définir et mettre en œuvre une stratégie cohérente et volontariste de récupération et de valorisation de ses ressources naturelles, à l'effet d'en faire l'élément moteur et l'instrument privilégié pour son développement économique et social. Néanmoins, si les moyens financiers procurés par les hydrocarbures ont permis des réalisations importantes dans les infrastructures, dans le domaine économique, social, culturel, de la formation et de l'éducation, la dépendance par rapport à cette ressource s'est progressivement accentuée et le niveau de développement reste limité au regard des potentialités naturelles et des ressources humaines abondantes et de qualité. C'est ainsi que sur les dix dernières années, entre 1998 et 2007, le PIB a connu une croissance moyenne modeste de 4,1%, inférieure à la moyenne de l'Afrique (aujourd'hui estimée à 5%), alors que, sur la même période, le prix du pétrole a été multiplié par 5,5 (passant de 12,3 à 69 $/baril), tout comme les recettes provenant de l'exportation des hydrocarbures qui ont augmenté de 10 à 59 milliards de US$. Un pays aux ressources gazières importantes La vocation pétrolière de l'Algérie est née vers la fin des années 1950, avec les importantes découvertes effectuées dans le Sahara algérien par les compagnies françaises : le gisement de pétrole de Hassi-Messaoud et celui de gaz naturel de Hassi R'mel, à un moment où le peuple algérien était résolument engagé dans la lutte de libération nationale. Depuis les premières découvertes, de gros efforts de recherche, d'exploration et de développement ont été entrepris sous des régimes divers : l'Algérie reste un pays pétrolier et surtout gazier, d'importance moyenne dont les ressources n'ont rien de comparable avec les pays du Golfe, ni même avec la Libye ou le Nigeria, pour rester dans le Continent africain. Pourtant, les Autorités algériennes ont pratiqué très tôt une politique vigoureuse de préservation des ressources fossiles et de l'environnement en luttant implacablement contre les tendances “au gaz torché” pratiquées auparavant par les compagnies pétrolières internationales. En effet, la figure ci-dessous montre, à l'évidence, que le brûlage de gaz à la torche en Algérie a connu un recul constant, en particulier durant la décennie 1973-1983 et depuis 1995. Alors que les volumes de gaz associés produits ont pratiquement triplé ces 30 dernières années pour atteindre 35 milliards de m3, le ratio gaz associé brûlé sur gaz produit est passé de 80% en 1970 à 13% en 2002 et à 7% en 2005. Le brûlage des gaz non associés au brut (gaz naturel), représente à peine un peu plus de 1% des 160 milliards m3/an produits. Si on raisonne en termes de production globale de gaz associé et gaz naturel, le taux de brûlage (C'est-à-dire le rapport de la quantité de gaz brûlée par la quantité produite), avoisine les 3% (1). L'élimination complète du brûlage est prévue pour 2010, selon Sonatrach, qui a initié, en association avec BP et Statoil, un grand projet de réinjection de CO2 dans le gisement gazier d'In Salah. Aujourd'hui, les réserves totales prouvées sont estimées à 12,3 milliards de barils pour le pétrole et à 4 580 milliards de m3 pour le gaz (2). Dans les conditions d'exploitation actuelles et en tenant compte des seuls engagements déjà souscrits en matière d'exportations et de l'évolution de la consommation domestique (une croissance annuelle de l'ordre de 6%), cela représente une durée de vie inférieure respectivement à 17 ans pour le pétrole et un peu plus de 25 ans pour le gaz naturel, c'est-à-dire à peine l'espace d'une génération . Il est vrai que le pays n'est exploré, pour l'instant, que pour les 50% de sa superficie et que des indices favorables permettent de penser qu'il recèle encore des potentialités. Effectivement, l'intense activité d'exploration entrepris par la compagnie nationale Sonatrach, seule ou en partenariat, a donné lieu à un nombre important de découvertes : 8 découvertes en 2005 pour 58,47 Mtep, 20 en 2006 pour des réserves estimées à 117,53 Mtep, et 20 découvertes enregistrées en 2007. Néanmoins, le nombre important des découvertes annoncées ces dernières années n'a pas encore donné lieu à réévaluation importante des réserves prouvées. Aussi, en toute rigueur et par prudence, toute prévision de développement ou d'exportation doit se baser sur les réserves affichées et officiellement reconnues, rappelées ci-dessus, c'est-à-dire l'espace d'une génération, ce qui n'empêche pas de rester attentifs et raisonnablement optimistes pour les perspectives futures. Dans les faits, les deux gisements historiques continuent à contribuer pour une part prépondérante de la production algérienne : Hassi-Messaoud à 60% pour le pétrole et Hassi R'mel à 66% pour le gaz naturel, même si les noms de gisements nouveaux : comme Tin-Fouyé-Tabankort, Berkine, Haoud Berkaoui et Stah pour le pétrole, Rhourde Nouss, Alrar et Hamra pour le gaz, sont venus s'ajouter aux deux premiers plus prestigieux. Valorisation des hydrocarbures et développement Le premier ajustement significatif du prix du pétrole, intervenu après la guerre israélo-arabe d'octobre 1973 dans le cadre d'une action politique d'envergure, a constitué pour bon nombre de pays producteurs de pétrole, en particulier les pays arabes du Golfe, le point de départ d'une ère de prospérité et de développement relatif qui se poursuit. En ce qui concerne l'Algérie, la situation est différente : l'augmentation du prix du pétrole décidée par l'OPEP en 1973 a certainement contribué à booster le programme de développement national mais celui-ci avait été déjà engagé par l'adoption et la mise en œuvre des deux premiers plans (triennal 1967 - 1969 et quadriennal 1970 - 1973). En effet, dès les premières années qui ont suivi son indépendance, l'Algérie s'est dotée d'une compagnie nationale, Sonatrach (créée le 31 décembre 1963) qui devait être l'instrument privilégié pour la mise en œuvre de sa stratégie pétrolière, laquelle a été bâtie sur des principes fondamentaux qui n'ont jamais varié : récupération des ressources naturelles par la nationalisation partielle ou totale selon le cas et le moment, valorisation maximale des hydrocarbures, non seulement par l'élargissement des capacités d'accumulation financière mais également par l'ensemble des actes d'investissement permettant la création d'une industrie pétrolière intégrée. La première annonce de la politique algérienne en matière d'hydrocarbures – dans laquelle on retrouve les principes et les lignes directrices del'action future – a été faite par le premier Président algérien : Ahmed Ben Bella en juin 1964, moins de deux ans après l'indépendance, à l'occasion du lancement des travaux de la première réalisation algérienne en matière d'hydrocarbures : il s'agit du premier pipeline algérien Haoud El Hamra-Arzew, réalisé par la compagnie anglaise John Brown Contractors, avec un financement koweïtien. Dans un premier stade, la Sonatrach qui s'appelait, à l'origine, Société de transport et de commercialisation des hydrocarbures, devait transporter et commercialiser le pétrole acheté auprès des compagnies étrangères productrices, plus précisément SN Repal et Total. Ses statuts et ses activités ont été étendus à l'exploration et à la production, après la nationalisation. A. K. Notes (1) Allouani, R.N. et Haddadji R. “La réduction des volumes de gaz brûlés : l'action de Sonatrach” in Medenergie n°10 – janvier 2004 (2) Source : BP Statistical Review of World Energy, juin 2007 (*)Ingénieur diplômé de l'Ecole nationale des ponts et chaussées (Paris, 1962), Abdenour Keramane a contribué à la création de la Sonelgaz (Société algérienne de l'électricité et du gaz) qu'il a dirigée jusqu'en août 1981. À ce titre, il a été membre fondateur et président du Comité algérien de la World Energy Conférence , vice-président de l'Union algérienne du gaz et président du Comelec. Commissaire à la recherche scientifique et technique auprès du Premier ministre en 1984 puis président du conseil d'administration du Fonds de participation Biens d'équipement, il entre au Gouvernement en janvier 1989, en qualité de ministre délégué à la Formation professionnelle, puis de ministre de l'Industrie et des Mines. En 1993, il est affecté à Milan comme managing director de la TMPC, société mixte algéro-italienne ayant en charge le gazoduc sous-marin Transmed. Actuellement, il active en qualité de consultant associé au sein du cabinet-conseil indépendant Khan Consultants, et dirige la revue Medenergie, dont il est le fondateur. Professeur associé à l'Ecole nationale polytechnique d'Alger jusqu'en 1992, Abdenour Keramane est l'auteur de nombreuses publications. Abdenour KERAMANE (*)