Corruption, fraude fiscale, détournement de fonds, contrebande, contrefaçon, trafic en tous genres trouvent un terrain fertile dans l'économie parallèle forte d'un bon millier de marchés informels où tout se vend et tout s'achète en toute impunité, sans que personne trouve à redire. De manière générale, quand on parle du blanchiment d'argent, on fait référence au crime organisé et particulièrement aux trafiquants de drogue ou d'armes, accumulant des sommes d'argent illicite en espèces qu'ils recyclent dans des activités tout à fait légales, pour légitimer leurs signes extérieurs de riches. En Europe et aux Etats-Unis ainsi que dans les pays asiatiques développés, le crime organisé se confond souvent avec les milieux d'affaires et investit d'une manière insidieuse le système financier. Une telle conception du blanchiment d'argent ne signifie, malheureusement, pas grand-chose dans notre pays, pour la simple et unique raison que les signes extérieurs de richesse n'ont jamais constitué un motif d'inquiétude, pour ceux qui amassent des fortunes en un temps record et de différentes manières. Et pas nécessairement celles du trafic de drogue ou d'armes. N'est-ce pas qu'en Algérie l'on considère tout à fait normal qu'une personne ayant une haute fonction au sein de l'Etat puisse disposer de villas, de lots de terrain, d'appartements, de voitures de luxe… ? À croire que les hauts responsables algériens sont les mieux payés au monde. Car, dans notre pays, tous ceux par exemple qui ont un accès discrétionnaire au bien public, ou ceux qui endossent la responsabilité d'interlocuteurs de firmes étrangères contractant des marchés avec l'Algérie et disposant de protections suffisantes par leur position dans l'appareil d'Etat ont ce droit de s'enrichir facilement, vite et bien. Ils n'ont pas de comptes à rendre. Ils n'ont même pas besoin d'être discrets puisqu'ils vivent dans un contexte général de véritable anarchie qui voue désormais un véritable culte à la réussite sociale, se jouant d'une frontière très floue entre ce qui est légal et illégal, ce qui est licite et illicite. Est-ce normal qu'un petit commerçant de produits de pacotille, qui marchande dans une boutique de 4 mètres sur 4, imposé par le fisc annuellement sur la base d'un bénéfice de 40 millions de centimes, roule en grosse cylindrée et crèche dans une villa de trois étages ? Est-ce que c'est normal qu'un jeune à peine âgé d'une trentaine d'années, auquel on ne connaît aucune activité, mène un train de vie digne d'un milliardaire, sans susciter la moindre interrogation ? Est-ce que c'est normal qu'un chômeur, dont le père se révèle un retraité, puisse du jour au lendemain disposer d'un fonds de commerce, voyager à l'étranger et négocier en Turquie ou en Chine des conteneurs de marchandises à coups de milliards ? Et on peut multiplier les exemples à volonté. Ces interrogations nous amènent à considérer quelque peu que les mécanismes mis en place par l'Etat pour lutter contre le blanchiment d'argent relèveraient d'un mimétisme qui fait illusion, sans toucher à l'essentiel. Des mécanismes de lutte inefficaces Il ne faut pas nous voiler la face, profiter de son argent, avouons-le, n'a jamais constitué un problème pour un trafiquant de drogue, un contrebandier ou autre personne qui s'adonne à une activité illégale très lucrative. Tellement c'est facile chez nous de blanchir l'argent sale. Tenez, par exemple, un baron de la drogue qui brasse des milliards n'a pas besoin de faire preuve d'une grande imagination dans notre pays, pour justifier ses signes extérieurs de richesse. Peut-on, en effet, trouver une curiosité à voir un entrepreneur en bâtiment qui arrive à décrocher plusieurs marchés de construction, posséder des villas, des voitures de luxe et mener un train de vie princier ? Travailler à grande perte signifie pour lui ou tout autre acteur de la criminalité, qui crée une entreprise, tout simplement blanchir l'argent de la drogue. Il suffira qu'il minimise les déclarations de ses dépenses et gonfle ses bénéfices pour figurer parmi les plus honnêtes des entrepreneurs aux yeux du fisc. En ce sens, on se demande pourquoi les services de l'Etat n'ont jamais la puce à l'oreille quand dans un avis d'appel d'offres un moins-disant se met en situation de perte dès le départ en acceptant de réaliser un projet pour un montant bien en dessous de ce qu'il exige en dépenses. Concrètement, on peut supposer qu'un trafiquant de drogue qui veut dépenser en toute légalité quelques milliards, autrement dit les blanchir, prenne en tant qu'entrepreneur un marché par exemple de dix milliards, le réalise par exemple pour la même somme, mais déclare avoir réalisé des bénéfices. Et le tour est joué. Avez-vous déjà entendu parler en Algérie, d'un inspecteur des impôts reprocher à un entrepreneur ou un commerçant d'avoir fait trop de bénéfices ? Car autant la marge bénéficiaire du contribuable est grande, autant l'impôt que prend l'Etat est important. N'est-ce pas que la sous-facturation et la surfacturation dans notre pays sont considérées entre opérateurs économiques privés comme une pratique normale ? Certains peuvent blanchir l'argent sale en investissant dans des entreprises qui affichent normalement un volume élevé de transactions au comptant afin d'incorporer des produits de la criminalité aux activités commerciales légitimes brassées par l'entreprise. Enfin, il arrive que des criminels achètent des commerces qui génèrent des recettes brutes par des ventes au comptant. C'est le cas des restaurants, bars, boîtes de nuit, hôtels. Ils investissent ensuite ces fonds obtenus par des moyens frauduleux en les amalgamant au revenu honnête pour donner l'illusion de la prospérité de l'entreprise légale. Dans de nombreuses villes du pays, des gens achètent des villas à 2 ou 3 milliards pour conclure officiellement la transaction immobilière avec le vendeur pour une centaine de millions de centimes. Sous et surfacturation des achats Après une certaine période de rétention du bien immobilier, le blanchisseur la vend à son prix réel, soit deux ou trois milliards. Et c'est ainsi qu'il dispose aux yeux des autorités d'une telle somme légalement. Certains s'en remettent à des complices qui leur “prêtent” une somme fictive, documents signés chez le notaire, pour créer l'illusion que l'argent est légitime. Les stratagèmes ne manquent pas et les mécanismes mis en place actuellement pour lutter contre le blanchiment d'argent sont pratiquement inopérants, car les complicités sont largement répandues et très bien rétribuées. On a vu les efforts déployés par la Cellule de traitement du renseignement financier (CTRF) dans la lutte contre le blanchiment d'argent et les maigres résultats auxquels elle est arrivée faute de trouver l'aide nécessaire de la part de ceux qui sont dans l'obligation de la déclaration de soupçon de transactions suggérant un blanchiment d'argent. Abdelmadjid Amghar, président de la CTRF, déclarait il y a quelques jours sur les ondes de la Chaîne III que l'ensemble des assujettis ne jouent pas le jeu. Il faut bien convenir d'une chose, les Algériens se méfient des banques et à plus forte raison ceux qui veulent blanchir leur argent sale. Le cash a encore de beaux jours devant lui, même avec l'obligation du recours au chèque pour les transactions commerciales de plus de 500 000 DA. C'est connu quand un Algérien recourt au chèque, c'est qu'il s'est entouré de toutes les précautions pour que la banque n'y voit que du feu, car dans notre pays on ne blanchit pas l'argent à travers les banques. Un chèque d'un montant d'un milliard signifie que son émetteur a bel et bien réalisé une transaction conforme à la réglementation, appuyée de tous les documents nécessaires justifiant sa provenance légale. Autrement dit, l'argent qui passe par la banque a été déjà blanchi. Quant à l'illégalité, elle suit d'autres circuits qui restent hors de portée de la CTRF. Comme par exemple blanchir l'argent à travers l'achat d'objets précieux et particulièrement les bijoux chez les dellalate, pour les revendre en tant que bijoux de l'épouse qui a consenti de vendre ses biens les plus précieux pour aider son mari à monter une affaire. Ou encore acheter une quantité importante de bijoux dans le marché informel (dellalate) de l'or et le dispatcher sur plusieurs membres de sa famille pour recycler l'argent sale à travers la banque de prêt sur gages et monter ainsi, grâce à la sacro-sainte solidarité familiale, une entreprise tout ce qu'il y a de légal, pour justifier des entrées d'argent qui proviennent en fait d'activités criminelles. Zahir Benmostepha