Le procès qui devait se tenir hier au tribunal criminel de Tizi Ouzou pour traiter l'affaire de l'assassinat du chanteur kabyle, Matoub Lounès, a été finalement reporté à une date ultérieure, mais non précisée, pour complément d'instruction. Ce qui signifie, en des termes plus simples, la réouverture du dossier Matoub. L'annonce a été faite par le juge du tribunal auprès duquel les avocats de la partie civile, ainsi que les membres de la famille Matoub ont insisté pour que les 50 témoins, parmi lesquels figurent des personnalités politiques, des journalistes et des citoyens, cités dans une liste remise lundi dernier au parquet soient convoqués et entendus et que l'instruction soit refaite notamment en ce qui concerne la reconstitution des faits jugée comme “bâclée”. Même le parquet général, faut-il le souligner, ne s'est aucunement opposé au report du procès. Le représentant du ministère public a déclaré devant une salle d'audience pleine à craquer qu'en principe l'arrêt de renvoi est complet mais la partie civile a émis des points pertinents pour l'éclatement de la vérité et qu'il laisse donc le tribunal criminel juger l'opportunité du report. La position a été, faut-il le souligner, assimilée par la partie civile, qui s'est exprimée par la voix de son avocat, Me Kaci Rahem, comme une possible volonté d'aller vers l'éclatement de la vérité. La décision du report était en tout cas inévitable puisque, en plus des témoins que la partie civile a souhaité qu'ils soient présents mais que la justice n'a pas convoqués, l'assistance venue nombreuse à ce procès a vite constaté que même les principaux témoins cités dans l'arrêt de renvoi et donc convoqués par le juge étaient absents. Seule Nadia Matoub était présente. Ni ses deux sœurs, Brahmi Farida et Ouarda, citées comme victimes et témoins oculaires dans cette affaire, ni encore les deux repentis Toukoudji Ramdane, alias Mounir, et Abdelaziz Toufik, dont les témoignages ont conduit à l'arrestation de Chenoui Mehieddine et Medjnoun Malik qui sont en détention préventive depuis maintenant plus de huit ans, n'étaient présents à l'audience. Pour les avocats de la partie civile il était impossible de tenir le procès en l'absence de ces principaux “acteurs” sur lesquels repose toute l'instruction judiciaire et sans lesquels on ne pourra jamais connaître la vérité. Pis encore, il y avait aussi la remarquable absence des experts qui ont pour charge d'établir les expertises retenues dans le dossier Matoub. Pour motiver le report, l'avocat de la partie civile, qui a “vieilli” avec l'instruction de cette affaire, n'a pas manqué de mettre l'accent sur l'absence de ces experts, notamment celles du Dr Adouche et du Dr Lankri dont les rapports d'autopsie se contredisaient sur de nombreux points qui nécessitent une contre-expertise et aussi de l'expert balistique dont le rapport renferme, selon Me Rahem, “des contradictions et des non-sens qui demandent aussi une contre-expertise. L'autre argument de la partie civile consiste en la reconstitution des faits au sujet de laquelle le même avocat a souligné que “le jour de la reconstitution des faits on a tout vu sauf une véritable reconstitution”. “C'était une parodie de reconstitution”, a-t-il déclaré. Avant l'annonce du report, Aldjia Matoub, la mère du défunt, a été appelée par le juge pour formuler d'éventuelles demandes, et celle-ci s'est contentée de répondre : “Je veux savoir qui a tué mon fils et je veux la vérité.” Un tonnerre d'applaudissements s'en est suivi et à elle de rajouter : “En entrant, j'ai vu accrochée sur votre porte, une balance, mais c'est une balance inclinée vers un côté, elle ressemble trop à celle du vendeur de poisson,” des phrases qui en disent long sur ses souffrances et surtout qu'elle ne croyait pas trop à ce procès s'il devait se tenir avec une “enquête faussée dès le départ”. Avant le retrait des magistrats, Aldjia Matoub dira encore, en s'adressant au juge : “Si j'ai un avis à donner, vous ferez mieux de libérer ces deux coupables alibi que vous me présentez.” C'est à ce moment que les membres du tribunal se sont retirés et revinrent avec la décision de report pour complément d'enquête. Une décision qui n'a pas manqué de soulager l'assistance et surtout la famille Matoub dont la sœur Malika a qualifié ce report pour complément d'enquête de “réussite”. “C'est une avancée énorme pour l'affaire Matoub et pour tous les gens qui luttent pour la démocratie, les droits de l'homme et pour que la justice devienne réelle”, a-t-elle déclaré en ajoutant qu'aujourd'hui “tout est à refaire, c'est un retour au 25 juin1998”. Aujourd'hui que la réouverture du dossier est acceptée, la famille Matoub, tout comme son collectif d'avocats et tous ces anonymes venus assister au procès, souhaite que ce complément d'enquête ne s'étale pas sur dix autres années et qu'il soit fait dans des délais raisonnables. Samir LESLOUS